Des réflexions françaises sur le Bitcoin

2
785

Le rapport de Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) va être reçu aujourd’hui par Michel Sapin, l’actuel ministre des finances et des comptes publics. Cette date n’est peut être pas un hasard puisqu’il y a quelques jours une plateforme d’échange de Bitcoin a été démantelée en France. À cela s’ajoute les récentes propositions de l’Association Bitcoin France publiées sur le blog officiel. Essayons dès lors de voir de plus près ces récentes actualités.

SAPIN ET LE BITCOIN

L’état français, qui s’est montré plutôt frileux depuis la vague de popularité du Bitcoin, notamment depuis l’affaire Mt.Gox, va peut-être prendre position sur la monnaie digitale. En effet il n’est pas inutile de rappeler que les dernières réflexions juridiques sur le Bitcoin s’étaient déroulées lors d’un rapport sur les comptes bancaires français de Mt.Gox, le Bitcoin était alors resté dans le flou, les juges refusant de statuer dessus. Ce rapport de Tracfin, la cellule qui est en charge à Bercy de lutter contre la fraude financière devrait nous éclairer sur le point de vue français à propos le Bitcoin. Dans son invitation l’organisation définit les monnaies digitales de la sorte :

Les monnaies virtuelles sont des monnaies non-officielles, émises sous forme numérique (elles n’ont pas de matérialisation physique sous forme de pièces ou de billets). Une monnaie virtuelle n’est pas un instrument de paiement au sens strict du terme, mais c’est un moyen de transaction qui peut permettre d’effectuer des paiements en ligne. Le « bitcoin » constitue une des monnaies virtuelles les plus connues. Contrairement aux devises monétaires officielles, Bitcoin n’est pas l’incarnation de l’autorité d’un État ou d’une banque centrale. Cette monnaie cryptée est entièrement émise par un programme téléchargeable sur Internet. La valeur du bitcoin est déterminée de façon entièrement flottante en fonction de l’offre et de la demande à chaque instant.

LE TRACFIN PLUTÔT RÉTICENT

On peut constater dans cet intitulé plusieurs directions qui semblent avoir été prises par Tracfin. Tout d’abord la réflexion se veut générale et non uniquement concernée par le Bitcoin. Ensuite on remarque que les monnaies virtuelles ne sont pas considérées comme étant des instruments de paiement. Cela semble assez curieux et il sera intéressant de connaître la suite de cette pensée. Puis l’invitation semble émettre la critique classique à propos des monnaies digitales qui est la valorisation en fonction de l’offre et la demande sans contrôle extérieur. Naguère le directeur du Tracfin, Jean-Baptiste Carpentier, avait déjà exprimé des propos sur les monnaies digitales lors d’un audit du Sénat :

Nous sommes relativement inquiets. Depuis 1990, l’ensemble des pouvoirs publics internationaux, sous l’égide notamment du Groupe d’action financière (GAFI), a mis en place un ensemble extrêmement complet de règles de contrôle et de normes et transparence des opérations financières, qui s’imposent aux fournisseurs de services de paiement. L’idée générale était celle d’une surveillance accrue des flux de capitaux, en contrepartie de leur libéralisation. Or l’émergence des monnaies virtuelles fait aujourd’hui apparaître un « trou noir » dans cette régulation. […] Nous ne sommes pas dans l’illégal, mais dans l’a-légal. […] [il s’agit d’un] monde dans lequel nous voyons extrêmement peu de choses [, le Bitcoin] a probablement dépassé le stade seulement anecdotique où nous nous trouvions encore il y a quelques mois… mais sans pour autant porter des enjeux macroéconomiques.

On saisit bien dans ces propos l’angoisse généré par le Bitcoin pour les autorités de régulation. Cependant elles oublient bien souvent que le Bitcoin est à double tranchant sachant que soit,  il est relativement anonyme mais la blockchain enregistre absolument toutes les transactions par ailleurs des gens commencent déjà à se montrer spécialiste du traçage par la blockchain. Il est toutefois agréable de voir que la France se préoccupe des monnaies digitales, en espérant que le rapport montre des points positifs malgré les craintes formulées dans l’invitation.

banner_bitcoin_france_left

LES PROPOSITIONS DE L’ASSOCIATION BITCOIN FRANCE

En regard de cette reflexion l’Association Bitcoin France a, ce Mercredi, publié sur son blog une liste de propositions pour une législation sur le Bitcoin. Ces propositions viennent en réponse à un rapport de l’AMF sur le marché des monnaies numériques. Les voici dans leur intégralité :

I/ TVA

Afin de permettre l’essor de Bitcoin dans le domaine des moyens de paiement électroniques, il est nécessaire que leur soit appliquée une exemption de TVA sur cessions, sur le modèle de celle accordée par le HMRC Britannique dans son communiqué 09/14 du 3 mars 2014.

Dans ce modèle, les transactions réalisées en utilisant Bitcoin sont uniquement assujetties à TVA pour les biens et services échangés, mais pas sur la partie de la transaction consistant à transférer la propriété de bitcoin.

II/ Plus values de cession

L’association demande une exonération des plus values avec la création d’un moratoire pour les années fiscales 2015 et 2016 en dessous d’un seuil de l’équivalent 5000 euros de plus value par an.
Il s’agirait ainsi de donner un cadre légal et fiscal permettant à Bitcoin son développement en France. En effet, aujourd’hui, sur le territoire national, il représente un volume faible mais qui pourrait grandir dans les prochaines années. Ce moratoire ne porterait donc pas à conséquence pour les finances du pays, mais aiderait à l’installation de projets d’expérimentation utilisant Bitcoin.

III/ Règlementation

Afin de pouvoir s’inscrire dans la durée et permettre un développement harmonieux de ce marché, l’association invite les pouvoirs publics à lancer une consultation sous forme d’une mission parlementaire pour analyser les opportunités pour la France du marché des  monnaies numériques, notamment compte tenu du fort degré d’innovations technologiques lié à ces activités dans lesquelles la France possède une expertise d’excellence. Il convient d’encourager dans notre pays le développement des savoir-faire de ces techniques, par définition sans frontière, au risque de laisser nos concurrents s’en charger.

Bitcoin France se félicite des prises de positions des différentes autorités de régulation bancaires et financières en France sur Bitcoin. La France est ainsi un des très rares pays disposant d’une prise de position claire de ses régulateurs sur le sujet, alors même que la France ne figure pas dans le peloton de tête des pays utilisant le Bitcoin.

Ces positions font suites à d’autres travaux menés au niveau européens sur le sujet des « monnaies virtuelles », comme le papier publié le 4 juillet 2014 par l’Autorité Bancaire Européenne (EBA). Ce dernier document, à destination des banques et des superviseurs bancaires, s’inscrit dans un cadre différent en ce qu’il concerne la gestion des risques par les banques.

La méthode d’analyse utilisée par les régulateurs français est celle que soutient Bitcoin France : traiter de façon pragmatique le sujet Bitcoin plutôt que théorique en essayant de cerner les contours d’une définition juridique, laquelle nécessite un cadre international. Ainsi, l’association partage l’analyse selon laquelle la conversion d’une devise (euro ou dollar) en bitcoin doit s’effectuer via un prestataire régulé directement ou indirectement par l’ACPR en matière de services de paiement. Seul un statut régulé permet de s’assurer de l’application effective de l’ensemble des diligences relatives aux règlementations contre le blanchiment et le financement du terrorisme, et plus largement sur la connaissance des clients et l’information que ces prestataires doivent délivrer aux clients lorsqu’ils utilisent Bitcoin. De la même manière, l’association partage l’analyse de l’AMF selon laquelle l’investissement en bitcoin peut être analysé en un investissement en « biens atypiques » et comme tel soumis à la réglementation de l’AMF.

Ces prises de position, qui pour l’essentiel visent à souligner les risques des monnaies numériques, ne doivent cependant pas être un frein au développement de ces marchés et doivent s’inscrire dans un cadre plus large, à tout le moins européen. A cet égard, l’association ne peut que regretter l’hétérogénéité dans l’application de la règlementation en matière de paiement au sein l’Union européenne, créant ainsi des « arbitrages règlementaires » pour certains acteurs.

IV/ Charges sociales :

Pour tous les versements en bitcoin entrant dans la définition des paiements de moins de 2000 euros par an, l’association demande un moratoire de 18 mois sur le paiement des cotisations sociales.

L’association préconise qu’aucune charge sociale ne pèse pendant cette période, dans la limite de ses montants. Ce temps sera consacré à l’observation de l’utilisation de Bitcoin pour les activités salariées.

En conclusion

Après d’autres protocoles libres (comme SMTP et HTTP), le protocole Bitcoin permet l’émergence de l’internet des transactions. Compte tenu du succès phénoménal de l’internet des messages (le réseau e-mail s’appuyant sur le protocole SMTP), et de l’internet de l’édition (le réseau web s’appuyant sur le protocole HTTP), il serait dommage que l’Europe en général et la France en particulier, manque ce virage technologique majeur au motif de protéger des situations de rente dans les domaines des paiements et des services financiers.

L’association invite les pouvoirs publics à se pencher sur ce sujet pour participer à son développement responsable. Nos voisins anglais et allemands se sont déjà emparés du sujet et y voient une belle opportunité économique. La France doit emprunter le même chemin.

Ces propositions comme vous avez pu le voir visent à mettre en place une législation-socle qui pourrait permettre au Bitcoin de se développer en France sans crainte juridique. Le deuxième but est d’inciter l’état français à prendre en compte l’importance éco-géo-stratégique d’un développement des cryptos-monnaies et de ses spécialistes compte-tenu de la qualité de l’expertise française en cryptographie par exemple. Nous verrons donc comment se déroule le rapport de cet après-midi mais ce regain d’intérêt français ne peut annoncer que des bonnes choses pour le Bitcoin.

Source : Numérama