Si l’actualité récente du Bitcoin laisse entrevoir un pessimisme généralisé, ce n’est tout du moins pas l’opinion émise par deux acteurs (et non des moindres) du monde financier. Le premier, la banque d’investissement et la société de gestion d’actifs Needham & Company a publié un rapport qui conclut que le prix du Bitcoin est actuellement sous-évalué de 60%, ce qui l’estimerait à 580€ au lieu des 365€ actuels. Le second n’est autre que David Andolfatto, vice-président et directeur de la recherche à la Federal Reserve Bank de St Louis, qui s’en est allé de son « petit » commentaire sur son blog personnel.

Bitcoin, un actif sûr?

Vous ne le pensez probablement pas et vous avez raison. Le prix en dollars d’un bitcoin peut être très volatile. On peut facilement gagner ou perdre 50% sur une très courte période de temps. De fait, si nous parlons donc d’un actif qui offre un taux de rendement stable, Bitcoin ne l’est pas.

Sauf que ce n’est pas ce que je veux dire par « actif sûr ».

Je ne suis même pas sûr de savoir comment définir précisément ce que je veux dire par actif sûr. Grosso modo, je pense à un actif sur lequel les gens affluent quand les circonstances économiques sont mauvaises ou incertaines. En temps normal il s’agit d’actif qui, même en dépit d’un taux de rendement relativement faible, se tient en raison de sa liquidité ou de la « sécurité » qu’il représente.

Le dollar américain et les bons du Trésor américain sont des exemples d’actifs sûrs aujourd’hui. Maintenant, vous pourriez penser qu’ils sont sûrs parce qu’ils promettent d’une certaine manière un taux de rendement nominal (NDLR : Taux déterminé en intégrant l’inflation anticipée). Un dollar promet un taux d’intérêt nominal de 0% et vous serez sûr de l’obtenir si vous conservez ce billet au fil du temps (les dollars sous forme de réserves de banques centrales gagnent actuellement 1 à 2%, mais seules les institutions de dépôt obtiennent ce taux). Un projet de loi concernant les bons du Trésor promet également un intérêt nominal nul et avec, vous pouvez être sûr d’obtenir le remboursement intégral de votre capital à l’échéance.

Mais ce n’est pas la façon la plus appropriée de réfléchir aux risques associés à un actif. Premièrement, les économistes (à juste titre) mettent l’accent sur le taux de rendement réel d’un actif. Les investisseurs ne se soucient pas du nombre de dollars papier qui leur sont promis à terme. Ils (probablement) se soucient du pouvoir d’achat qu’auront ces futurs dollars. Si l’inflation se révèle être élevée, le pouvoir d’achat sera faible. L’inverse est aussi vrai si l’inflation se révèle être faible.

Quant au bons du Trésor dit «sans risque» il faut prendre un compte que le prix de marché va généralement fluctué entre la date d’émission et la date d’échéance du bon. Cela est parfois appelé «risque de taux d’intérêt ». Si vous achetez un bon du Trésor à 99$ et qui promet 100 $ par année vous ferez environ 1% si vous détenez le bon à l’échéance. Mais si les taux d’intérêt du marché grimpent dans l’intervalle, et si vous êtes contraints de vendre votre bon pour lever des fonds, vous êtes susceptible de réaliser une perte substantielle.

Voilà la chose à retenir d’un actif sûr. Il peut sembler stable pendant une longue période de temps et ensuite – boum – quelque chose se passe. (Il y a toujours quelque chose qui se passe..) Les taux d’intérêt peuvent monter en flèche – une liquidation soudaine des obligations peut se produire. Ce qui pourrait déclencher un tel événement ? Toutes sortes de nouvelles. Les banques étrangères peuvent avoir besoin de liquider leurs réserves en devises composées en partie de bon du Trésor américain pour des raisons politiques ou économiques. Une augmentation soudaine des taux anticipés d’inflation ferait baisser le taux de rendement réel des obligations nominales attendues, induisant un sell-off (NDLR : Phénomène correspondant à un mouvement de panique baissier brutal sur un cours). Une obligation en « sell-off » peut même être déclenchée par un enchainement de bonnes nouvelles. Une augmentation de la croissance de la productivité, qui aurait pour effet d’augmenter le rendement attendu des investissements privés, par rapport aux obligations, par exemple.

Une autre chose à garder à l’esprit est que les classes d’actifs qui constituent des actifs sûrs peuvent changer au fil du temps. Dans un récent article sur la stagnation séculaire, j’ai noté qu’une « fuite vers la sécurité» semble produire des changements qui impliquent des ralentissements de productivité. En 1974, les investisseurs ont afflué vers l’or et l’immobilier – ils ont délaissé le Dollar (augmentation rapide du niveau des prix) et les bons de Trésor (hausse rapide des taux d’intérêt nominaux) alors qu’en 2008, la situation était un peu différente : les investisseurs, fuyant l’immobilier, ont trouvé dans le dollar et les bons de Trésor une valeur refuge.

Les observations ci-dessus suggèrent que le régime de politique monétaire revêt une grande importance pour déterminer si une monnaie fiduciaire est perçue comme sûre ou non. Lorsque Nixon et ses conseillers ont choisi d’abandonner l’étalon-or (allant contre la recommandation du président de la Fed, Mr. Burns) en 1971, la politique monétaire a semblé perdre son ancrage nominal. Ainsi, lorsque le choc pétrolier et le ralentissement de la productivité ont frappé au début des années 70, les investisseurs ont fui l’argent. L’or est souvent crédité comme étant un actif sûr en raison de son offre «politique». Mais il y a d’autres raisons à cela, car comme l’or, l’offre de biens immobiliers n’est pas très élastique. Et pourtant, l’immobilier n’était plus un actif si sûr en 2008…

Asymétrie de l’information

Patience. Je vais bientôt en arriver au Bitcoin. Avant de le faire, j’aimerais demander « qu’est-ce qui fait d’un actif, un actif sur? »

Selon Gary Gorton, cela a beaucoup (peut-être tout) à voir avec l’asymétrie de l’information:

Un « bien » sûr est un atout qui peut être utilisé pour effectuer des transactions sans crainte : il ne doit pas y avoir de préoccupations qu’une des contreparties connaît secrètement la réelle valeur de l’actif.

En d’autres termes, un actif sûr est un bien avec des attributs qui permet aux parties de se mettre d’accord très rapidement et à peu de frais. Les objets ayant cette propriété ont tendance à devenir des instruments monétaires ou, pour utiliser un terme plus large – une valeur d’échange (cela comprend des objets couramment utilisés comme garantie pour soutenir des accords de prêt). Les actifs sûrs ont tendance à être des actifs « simples ». Historiquement, les produits tels que le sel ou les métaux précieux. Il est facile de vérifier votre salaire avec du sel (il suffit de le goûter). Il est un peu plus difficile d’estimer une proportion d’or. Le but de la monnaie est donc d’être un bien facilement reconnaissable. Sans trop d’effort.

Il va sans dire que la plupart des instruments financiers sont des objets complexes. Tenez compte de votre police d’assurance-vie, qui reste relativement simple dans l’immensité des produits financiers.. La raison pour laquelle vous ne pouvez pas acheter votre café au lait le matin avec une part de cette assurance vie, est qu’il est tout simplement trop coûteux pour le vendeur de faire preuve d’une diligence raisonnable et nécessaire à votre égard dans de telles circonstances. Donc, vous payez en espèces. Tout le monde sait ce qu’est l’argent liquide. L’argent liquide peut être « indésirable » (dans le sens où il n’est plus convertible en or), mais au moins tout le monde peut en convenir. Il n’y a rien de compliqué à accepter les espèces.

Un actif simple

L’espèce et l’or sont des objets «simples». Le fait qu’ils ne paient pas d’intérêt les rend encore plus simples. En particulier, il n’y a pas besoin de passer du temps à enquêter sur la fiabilité d’un dividende versé par un actif « stérile » – tout le monde peut se mettre d’accord tout de suite sur le fait que le dividende est égal à zéro. Ce type de symétrie d’information semble être très demandée en période d’incertitude financière (quand personne ne sait vraiment ce que les gens savent des titres qu’ils vendent).

Cela me conduit directement à Bitcoin. Je pense que Bitcoin pourrait être le prochain grand atout sûr de ce monde. En tout cas il semblerait qu’il possède bien toutes les propriétés qui sont souhaitées et attendues d’un actif sûr.

Surtout, il est « simple ». Simple dans le sens où il possède une valeur intrinsèque. Bitcoin est tout simplement une technologie de tenue de compte (et les économistes savent depuis fort longtemps que l’argent c’est la mémoire). Il ne rapporte aucun intérêt. Simplement une possession qui correspond à un droit de propriété. Et ce livre de compte (NDLR : sous-entend la Blockchain) a fait ses preuves niveau sécurité.

Maintenant, on pourrait objecter que Bitcoin n’est pas si simple, au moins du point de vue de la moyenne des individus. Bitcoin est constitué de 30MB de code en langage C ++. Et l’algorithme qui régit sa précision et sa sécurité peut être difficile à comprendre.

Mais j’aime comparer ceci à la façon dont la plupart des gens comprennent le fonctionnement de leur moteur de voiture. Nous avons une notion vague d’ingénierie, de combustion interne, ou de la façon dont l’énergie circule,etc..Tout ce que nous savons vraiment, c’est que notre expérience collective vis à vis de cette la technologie est utile. Nous savons aussi que pour être mécanicien il n’ya a pas besoin d’avoir été ingénieur en mécanique.

Comme pour le protocole Bitcoin, qui est un logiciel open source, les tentatives de modification du code guidées par un intérêt personnel au détriment de la communauté sont facilement détectables par des yeux experts. Et ayons confiance dans le fait qu’il y a beaucoup d’yeux experts penchés sur le sujet.

Enfin, Bitcoin a une politique monétaire très simple. Essentiellement, la politique est de maintenir la masse monétaire fixe (en fait, il se développera asymptotiquement à un nombre fixe, 21 millions d’unités). Bien que cette règle monétaire peut être modifiée par consensus communautaire, il y a des raisons de croire que cela est peu probable.

Moyen d’échange ou réserve de valeur ?

Comme nous le savons, il y a eu quelques troubles dans la communauté Bitcoin. La question, si je comprends bien, concerne un projet d’amendement de la constitution du Bitcoin (NDLR : L’auteur fait référence à la controverse liée à la taille des blocs). Les gens craignent que si l’amendement ne passe pas, la vision originale de Satoshi Nakamoto qui souhaitait un système de paiement P2P à faible coût, grande vitesse ,et haut volume ne se concrétise pas. D’autres sont convaincus qu’une solution, sous une certaine forme, finira par être trouvée. Ces gens respirent l’optimisme. Rappelez-vous, c’est le carburant qui alimente l’esprit d’entreprise.

Mais supposons que la vision originale ne fonctionne pas. Supposons au contraire que Bitcoin soit frappé d’une limite stricte sur le volume des transactions qu’il peut traiter (actuellement bien en deçà de ce que Visa peut accomplir). Supposons en outre que les récompenses de bloc (actuellement 25 bitcoins/10 minutes) deviennent négligeables. Supposons aussi qu’une taxe de transaction fixe (et peut-être même variable) doit être payée, puisque quelqu’un doit financer la sécurisation de la Blockchain. Si cela devait se produire, alors Bitcoin ne serait utilisé que pour les transactions de grande valeur (le coût fixe associé à chaque transaction rendrait les transactions de faible valeur non pertinente économiquement.)

Ce « Bitcoin » comme système de transfert de grande valeur ne va pas a l’encontre de ma thèse : Bitcoin peut rester un actif sûr et souhaitable. (Les petits joueurs pourraient vraisemblablement s’impliquer en investissant dans un ETF Bitcoin, même si cela présentait un risque de contrepartie.)

Dans un monde où il serait l’unité de compte, un événement qui inciterait à une «fuite vers la sécurité » provoquerait une déflation inattendue et sévère. Nous avons gardé l’expérience de cela au début des années 1930 pour prouver ce qu’une politique monétaire à la Bitcoin peut entrainé. Et tandis qu’un système monétaire comme Bitcoin peut libérer les gens de la perte de valeur liée à l’inflation, il ne pourra pas les libérer des formes plus générales d’imposition.

Cependant, même si Bitcoin n’est pas, à mon avis, un instrument monétaire particulièrement idéal, cela ne l’empêche pas de servir comme un actif sûr ou une réserve de valeur à plus long terme. Une fois que sa pénétration du marché sera terminée, son comportement est susceptible d’imiter le comportement de tout autre actif sûr qui génère un faible rendement. Les investisseurs peuvent espérer gagner des rendements anormalement élevés dans une situation de crise. Mais si vous achetez au plus haut de la crise, vous pouvez vous attendre à réaliser des pertes anormalement élevées lorsque la crise retombera. En bref, c’est un excellent investissement – en supposant que vous pouvez prédire quand une crise se produit et quand elle prend fin !

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