Dans une série d’articles que j’ai écris sur mon blogue, sur le futur des devises numériques,  j’ai introduit la notion de Bitcoin pour la première fois à mon audience. Généralement, mes lecteurs, qui sont des jeunes professionnels bien rangés, ont du mal à comprendre l’importance d’une telle technologie. Comment s’approprier une devise qu’on ne peut pas toucher? En effet, même si aujourd’hui, plus de 90% de l’argent en circulation dans le monde est sous forme électronique, l’individu moyen en occident a encore du mal à accepter l’idée d’une devise complètement numérique. Alors combien de  fois en Afrique Sub-Saharienne?

Pourtant le fait est que les Africains sont parmi les personnes les plus susceptibles d’adopter les devises numériques comme le Bitcoin. Et oui! Malgré les accès internet limités, les coupures d’électricité intempestives, et un système bancaire peu populaire, il y a plus de chance aujourd’hui de voir proliférer le Bitcoin en Afrique que d’assister un jour à la création d’une devise fiat panafricaine.

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LES AVANTAGES DES DEVISES NUMÉRIQUES EN TANT QUE MOYEN DE PAIEMENT

Les devises numériques représentent 4 avantages principaux pour les pays Africains :

1. L’accessibilité
2. Les faibles couts de transactions
3. Une portée mondiale
4. Le traitement de micro-paiements

En effet, en exploitant une industrie des télécommunications très développée, et un fort taux de pénétration du mobile, des plateformes de paiement par SMS comme M-PESA permettent d’introduire le Bitcoin en Afrique (sans toujours nécessiter une connexion internet des utilisateurs).

D’une part, les devises numériques permettraient aux populations africaines d’avoir un accès plus large aux sites de e-commerce à travers le monde, qui imposent souvent des restrictions sur les types de paiements possibles.

D’autrepart, l’utilisation des devises numériques comme le Bitcoin réduisent drastiquement les couts de transferts d’argent internationaux, tout en rendant ces transferts plus rapides et accessibles à travers le monde entier. Ainsi, au lieu de payer 12 à 15% de frais de transaction avec Western Union ou MoneyGram, la diaspora africaine peut envoyer de l’argent à des plateformes de change Bitcoin, qui le reconvertissent en monnaie locale à destination du receveur, directement dans son portefeuille électronique (mobile money wallet).

D’ailleurs, plusieurs pays Africains anglophones sont déjà en train d’en faire l’expérience. Parmi les startups qui participent à ce changement, on compte :

BitPesa: une plateforme de change qui accepte des Bitcoin en échange de Shillings Kenyans. Les individus qui possèdent des BTC peuvent ainsi envoyer des shillings à leurs proches, à travers BitPesa, et ce dernier dépose les devises locales dans des portefeuilles mobiles comme M-Pesa, Orange Money, Airtel, et Yu. Cout total: 3%.

Kipochi : un service de portefeuille BTC qui s’intègre avec M-Pesa. Cela permet à des propriétaires de téléphones portables de recevoir et envoyer des BTC avant de les convertir dans la monnaie locale, en passant par leur compte M-Pesa.

Payfast: Cet équivalent Sud-Africain de Paypal accepte depuis Juillet 2014 les paiements en BTC, ce qui permet de transiger avec leurs 30,000 commerçants partenaires.

BitX South Africa et ICE3X.com: Plateformes de change Sud-Africaines qui permettent d’acheter, de vendre et de conserver des BTC et Litecoin.

ZABitcoinATM: La première machine de retrait automatique pour BTC qui permet aux clients d’échanger des devises locales contre des BTC en Afrique du sud.

Kitiwa est une plateforme de change qui permet aux ghanéens de convertir leur Ghana Cedis en BTC, leur permettant ainsi de faire des transactions sur internet dans le monde.

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LES AVANTAGES DES DEVISES NUMÉRIQUES EN TANT QUE RÉSERVE DE VALEUR

Aussi futuriste semble être ce scénario, les pays africains qui seraient intéressés à développer un système monétaire basé sur les devises numériques au lieu des monnaies fiat, bénéficieraient de :

1. Une meilleure traçabilité des flux monétaires : L’une des premières choses qui marque quand on observe l’économie sub-saharienne, est le pourcentage des transactions qui s’opèrent dans l’économie sous-terraine. Ces transactions ne sont pas forcément illégales, mais sont plutôt non-divulguées, et non règlementées. Ce qui représente une énorme perte fiscale pour les gouvernements. Théoriquement, l’application d’un système monétaire basé sur une devise numérique permettrait donc d’accroitre la transparence financière, en permettant aux institutions d’état de retracer les adresses électroniques qui hébergent l’historique des transactions d’un individu ou d’une entreprise.

2. Une protection contre l’inflation : L’économie d’Afrique sub-saharienne est également très marquée par l’utilisation de l’argent comptant. Dans une économie où la priorité des populations est de satisfaire des besoins vitaux à court-terme, il est très fréquent de voir des micro-portions de divers produits et services se transiger sur le marché. C’est ainsi que se vendent à vil prix, des sachets d’huile de friture, des sachets d’eau potable, du crédit téléphonique et des cigarettes à l’unité.

Le besoin pour les commerçants de fragmenter les portions de produits conçus initialement pour se vendre dans un emballage précis, devient donc une nécessité pour survivre dans l’économie Africaine. Ces micro-transactions qui représentent le quotidien des populations, les rendent très dépendantes de l’argent comptant. Les cartes de paiement sont très rarement utilisées pour de tels micro-paiements, car le ‘cash’ permet plus de liquidité et de flexibilité. Mais cette liquidité vient avec un prix : une vulnérabilité à la dépréciation de la monnaie.

En effet, les populations modestes sont généralement celles qui sont le plus susceptibles de perdre leur pouvoir d’achat, à cause de leur dépendance au cash. Ces personnes ne possèdent généralement par d’actifs qui apprécient sur le long terme comme de l’immobilier ou des fonds d’investissement. Elles gardent leur argent sous les matelas, et sont donc à la merci des politiques monétaires inflationnistes de leur gouvernement.

En théorie, les devises numériques comme le BTC peuvent régler ce problème. En l’occurrence, le BTC dont l’émission maximale a été limitée à 21 Millions de BTC, est une devise, qui est vouée à apprécier sur le long terme, contrairement aux devises fiat, (pourvu bien sur que l’adoption du Bitcoin devienne plus généralisée et que sa volatilité diminue).

3. Une plus grande souveraineté monétaire : Un système monétaire basé sur les devises numériques permettrait aux nations Africaines de se libérer de l’hégémonie économique qu’exercent des puissances comme la France. Cette liberté monétaire est très bien expliquée dans l’article de Slim Bouzid, Bitcoin: Liberté monétaire pour les tunisiens ?

C’est d’ailleurs sur ce dernier point que j’aimerais rebondir, afin de parler du cas des pays de la zone CFA, et comment les devises numériques peuvent contribuer à l’économie de cette région.

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LA ZONE CFA : UN EXCELLENT EXEMPLE D’EMPRISONEMENT MONÉTAIRE

La zone CFA (‘Communautés Financières d’Afrique’ ou bien ‘Colonies Françaises d’Afrique, tel que créé en 1939!) est l’ensemble des 15 pays africains qui utilisent le Franc CFA comme devise. Elle est constituée de huit pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo), six pays d’Afrique centrale (Cameroun, République Centrafricaine, Congo-Brazzaville, Gabon, Guinée Équatoriale, Tchad) et les Comores. Ces espaces monétaires et économiques sont issus de l’ancien empire colonial Français, et sont encore au jour d’aujourd’hui gérées par elle, à travers deux institutions africaines : la Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), la Banque des États d’Afrique Centrale (BEAC), la Banque Centrale des Comores (BCC).

Tel que brillamment expliqué par le site de publication Survie.org, dans un article sur le sujet :

Le système franc CFA est basé sur quatre grands principes : la centralisation des réserves de change au Trésor public français, la fixité de la parité franc CFA/euro, la libre convertibilité du franc CFA à l’euro, et la libre circulation des capitaux entre la France et les pays africains de la zone franc. A ces principes s’ajoutent la participation française aux instances de direction des banques centrales africaines, pièce maitresse du système CFA puisqu’elle garantit l’application sans faille des quatre principes précédemment cités

En gros, cela veut dire que contrairement à la plupart des devises dans le monde, qui ont des cours fluctuants, le Franc CFA n’a aucune existence indépendante :

• A cause de sa parité avec l’euro (historiquement le Franc français), 1 euro vaut 656 FCFA tout le temps, et cela ne change jamais.  Donc si l’euro monte, le FCFA monte; et si l’euro tombe, le FCA tombe! Cette parité est particulièrement avantageuse pour la France car elle élimine complètement le risque de taux de change dans son commerce avec ses anciennes colonies. Les institutions françaises peuvent donc acheter à prix fixe autant de cacao, café, hévéa, pétrole, bois, bauxite, or, diamants, et autres ressources naturelles et matières premières, dont ils sont généralement les principaux exploitants, afin d’alimenter l’industrie française. Mais attention! Cette libre convertibilité du CFA ne s’applique pas aux 3 régions économiques africaines concernées, ce qui restreint énormément les échanges interafricains, au profit du rapatriement de capitaux en France.

• Afin de se protéger contre les risques de surémission du FCFA (et donc de dévaluation), la production du FCFA est faite par la Banque de France. Cette dernière a aussi pour tache de surveiller de très près les politiques monétaires des pays africains sous la zone CFA. Ainsi, le Trésor Français, est la banque des banques centrales africaines, ces dernières n’étant donc que des institutions de façade, vu qu’elles n’ont aucun pouvoir sur la politique monétaire de leur région. D’ailleurs, aucune décision ne peut être prise par les banques centrales des zones CEMAC et UEMOA sans l’accord de la Banque de France. Cela représente quelques implications positives comme la protection contre des pratiques monétaires inflationnistes, mais surtout plusieurs limites néfastes (comme le manque de compétitivité des pays Africains dans le commerce international, et un accès difficile au crédit bancaire pour les populations locales).

• Les banques centrales Africaines sont forcées de déposer 50% de leurs réserves monétaires dans un compte d’opérations au Trésor public français. La Banque de France les rémunère en intérêt, mais perçoit également des revenus de placement au passage. La baisse des dépenses publiques qui en découle limite donc énormément les opportunités de croissance et la liberté des gouvernements africains à allouer leurs fonds vers des projets de développement, au  lieu de grossir les caisses de l’État français.

CONCLUSION

Aujourd’hui, le FCFA est le principal outil de contrôle politique et économique qu’exerce la France sur ses anciennes colonies africaines. Afin de se défaire complètement de ce système et retrouver une souveraineté économique, les pays africains de la zone CFA doivent suivre les étapes suivantes:

1. Sortir de la zone CFA et donc se détacher complètement du concept de la France-Afrique (ce qui implique un changement majeur de l’idéologie politique, sociale et économique africaine)

2. Migrer vers un système monétaire souverain (panafricain ou non)

Pour les pays producteurs de ressources naturelles, un système monétaire basé non pas sur des devises fiat, dont le cours déprécie sur le long terme, mais sur la parité avec des ressources naturelles comme l’or, le diamant, le pétrole ou la bauxite (ou une combinaison de plusieurs matières premières) serait idéal.

Pour les pays non-producteurs, un système monétaire basé sur les devises numériques dont la production absolue serait limitée, afin d’assurer une appréciation sur le long terme, et une limite des manipulations monétaires par le gouvernement.

Crédits images : DiaDesignModoAlbert Exergian

  • Merci pour cette analyse pertinente. Je vous souhaite bon courage. Je vous aime