La Blockchain était à l’honneur dans la petite salle numéro une de l’assemblée nationale ce matin 16 mars 2016. En effet il s’y tenait un point presse concernant le colloque approchant du 24 Mars sur le thème #Blockchain : disruption et opportunités. Votre serviteur était présent sur place et en voici un compte-rendu plutôt factuel suivi d’une conclusion courte relevant plutôt de mon appréciation personnelle.

Tout d’abord, le député Jean Launay, président de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques (CSSPPCE), nous a confié qu’il n’est pas aisé « d’entrer dans cette maison même si c’est le cœur battant de la démocratie. ». Et il est vrai que quelques difficultés se sont présentées pour entrer à cette conférence de presse. Mais trêve d’anecdotes !

Le député a d’abord exprimé son désir de changer de nom la commission au nom un peu long et sonnant ancien. Il serait plus pour « commission parlementaire du numérique et des postes. » qui reflèterait parfaitement le travail des sept députés et sénateurs au sein de celle-ci. Ceux-ci travaillent avec le gouvernement en amont et sont en lien avec les régulateurs. Un point notable de cette commission est son caractère bicamérale et transpartisane, en ce sens qu’elle regroupe toutes les couleurs politiques.

Le désir de la commission est véritablement de se repositionner sur toutes les questions numériques. (sécurité, éducation, accès au numérique) La blockchain était donc un sujet dont cette commission devait s’emparer en nouant des contacts avec les entreprises et personnes exerçant dans ce secteur. Très rapidement le député admet avec une humilité certaine ne pas être lui-même spécialiste de la question et s’interroger fortement sur la question. Mais l’accélération des choses fait qu’il fallait s’y intéresser.

Il commença par évoquer la question du tiers de confiance avec la poste en expliquant que cette notion de tiers de confiance est en train de muter avec l’évolution technologie mais aussi à cause de la loi des grands nombres. Cependant au-delà comment bâtir ce lien de confiance ? Qui contrôle le système ? Quelles sont ces garanties ? Le but du colloque sera donc de permettre de répondre à toutes les questions qu’un député pourrait se poser et aussi d’informer en masse les citoyens sur ces nouvelles problématiques.

LA BLOCKCHAIN VA BOULEVERSER LA CONFIANCE

Des mots émergent. D’abord la presse spécialisée puis la presse grand public. Voici les raisons qui ont poussé à la création de ce comité de pilotage. À ce propos, le député précise que le colloque fait déjà salle pleine et que cela démontre et affirme le besoin d’explications. Il faut anticiper et éduquer tout en conservant le soucis de vigilance. Enfin il faut en saisir les opportunités, comme le titre du colloque l’indique !

Cette introduction terminée, la parole passe à Ludovic Provost, secrétaire général de la commission et personne en charge de l’organisation de ce colloque. Il explique qu’ils ont voulu élargir aux spécialistes extérieurs à la CSSPPCE les tables rondes de ce colloque. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Secrétaire du Cercle du Coin, Jacques Favier participera à cette évènement. Il y avait un véritable désir de ne pas inviter que des acteurs commerciaux de ce secteur.

La question de départ est de se demander comment l’histoire de la confiance a évolué. Quelles sont les opportunités de business que ce nouveau modèle développe ? Quels sont les acteurs sur le marché de la blockchain ? Il y a déjà des « petits malins dans les startups » qui travaillent sur de nouveaux projets. Enfin il ne faut pas oublier la pédagogie et la conclusion du colloque devra être pédagogique. En ce qui concerne la présence d’un ministre, elle n’est pas arrêtée. Il semblerait que le Ministre Macron ne puisse pas s’y rendre et qu’il sera remplacé par Monsieur Mandon.

Vient le tour de parole d’Henry d’Agrain, directeur du Centre des Hautes Études du Cyberespace (CHECY). La première table ronde introduira les concepts de manière simple. À défaut de les maîtriser le but sera dans un premier temps de les comprendre. Le but n’est pas de favoriser une blockchain mais de partir des acteurs et non des mécanismes. Le thème de la confiance et l’articulation de la confiance dans la phénomène blockchain sera ensuite abordé.

Il y a une véritable question sociétale derrière la question de la blockchain. A la base de tout contrat social se trouve de la confiance. Or la blockchain va briser ce mécanisme classique et apporter une réponse extrêmement intéressante et très différente sur cette notion de confiance. Il y a donc un nouveau paradigme à développer.

Les intervenants de cette table ronde seront :

  • Thibaut Verbiest, Avocat rédigeant en ce moment un livre juridique sur la question.
  • Jacques Favier, Historien, et secrétaire du Cercle du Coin, membre actif de la communauté.
  • Pierre Porthaux, trader et créateur d’un cabinet de conseil accompagnant les startups.
  • Gilles Barbier, partenaire de The Familiy

Le député reprend la parole en raison de l’absence de l’animateur de la seconde table ronde Monsieur Rivaton. Le but de cette session sera de mettre les acteurs et investisseurs du secteur en face de la régulation et de ce qu’ils en attendent. Les intervenants seront :

La synthèse sera établie par Luc Belot, député du Maine-et-Loire.

Cette présentation terminée, Monsieur Launay passa la parole à l’animateur de la troisième table ronde Philippe Dewost, Directeur adjoint de la Mission Programme d’Investissements d’Avenir, en charge de l’économie numérique et du financement des entreprises à la Caisse des Dépôts. Il co-animera ce débat avec Nadia Filali, Responsable du Développement des Mandats et des Offices de la Caisse des Dépôts.

Cette table ronde aura pour sujet central la France. Philippe Dewost a débuté par préciser que la cryptographie est l’un des deux piliers de la blockchain avec la théorie des jeux. C’est ce qui explique la présence des intervenants suivant à cette table ronde :

  • Daniel Augot, Directeur de recherche INRIA, au LIX – Ecole polytechnique – Cryptographie
  • Stanislas de Bentzmann, Président de CroissancePlus
  • Bernard Duverneuil, Vice-Président du CIGREF (Club Informatique des Grandes Entreprises françaises), Directeur des systèmes d’information du Groupe Essilor
  • Primavera de Filippi, Chercheuse CNRS/Harvard University

La synthèse sera assurée par Monsieur Lalande sénateur de la Charente-Maritime.

Phillippe Dewost a insisté sur le fait que de nombreuses entreprises, y compris au sein du CAC40, possèdent des experts de la Blockchain mais ne le savent même pas. Le second problème concerne la régulation et l’animateur compte fortement sur les lumières de Primavera de Filippi sur ce sujet. La régulation est bien plus avancée chez les Anglo-Saxons pour M. Dewost.

LES TIERS DE CONFIANCE MUTERONT SANS DISPARAÎTRE

La raison pour laquelle la Caisse des Dépôts participe à l’inititive de place sur la Blockchain est avant tout parce qu’elle ne peut rester indifférente à la question de confiance. En effet la blockchain, sans faire (selon lui) disparaître le tiers de confiance, va cependant le faire évoluer. Le tiers de confiance est invité à changer de nature et cela doit permettre des initiatives pour expérimenter et comprendre ces phénomènes nouveaux.

La commission ne préjuge de rien et ne désire pas mettre en avant une blockchain ou une technologie. Ainsi le Bitcoin ne sera pas mis de côté mais ne sera pas non plus portée au pinacle la preuve de travail (POW). Ainsi la conclusion est que si dans six mois rien n’a été trouvé, tous les acteurs et spectateurs sollicités auront au moins appris sur le sujet grâce à un état des lieux complet.

Henry d’Agrain reprend la parole pour expliquer que le CHECY travaille activement sur le sujet. Plus de 17 personnes ont été sollicitées sur le sujet pour émettre un rapport. Il déplore qu’il y ait si peu d’endroits avec des reflexions académiques sur le sujet. Alors qu’il faut commencer à questionner la Blockchain, les smart-contracts, le concept de DAO, etc.

Le Président de la Commission, le député Jean Launay, enchaîne en présentant le site internet monté pour l’occasion par les étudiants en Master 2 Entrepreneuriat et développement d’activités innovantes au sein de Novancia Business School : www.colloque-blockchain.com. Le twitter de la commission est aussi présenté @CSSPPCE : parlement connecté. Le but du site sera d’émettre un rapport mensuel sur la question avec les avancements de la commission sur le sujet.

S’en suit une série de questions de la part des personnes présentes dans la salle, environ 14 personnes. Paul Gouguer de Challenge débuta avec une question sur Orange. Ont-ils une stratégie différente des autres en raison de leur investissement dans des entreprises blockchain ? Philippe Dewost minimise en expliquant que ce sont des achats de capital risque. Mais qu’Orange explore bien le sujet par ce biais, bien qu’il ne soit pas sûr qu’il y ait des liens directs entre le fonds d’investissement et la maison mère.

Philippe Dewost continue en évoquant avec de fortes louanges Louison Dumont qui s’est auto-formé très tôt et note que celui-ci s’est exilé au États-Unis. C’est un point qu’il faut combattre selon lui car nos créateurs dans ces domaines doivent pouvoir rester en France. Cependant en France aussi des initiatives discrètes existent au sein des entreprises comme Le Preuve développée par un membre de la caisse des dépôts sur son temps libre.

Henri d’Agrain reprend en expliquant qu’il a reçu des entrepreneurs au CHECY et qu’il a été frappé par une thématique. Les personnes qui s’intéressent à la blockchain en France « se planquent »  ! Pour plusieurs raisons : fiscales bien sûr, mais aussi à cause de l’incertitude juridique. Ainsi l’une des ambitions du colloque est de faire comprendre aux entrepreneurs qu’il y a des opportunités en France et qu’il serait malheureux de partir à l’étranger.

Une journaliste de l’Argus de l’assurance se souvient d’un rapport « vindicatif » de Croissance Plus sur le sujet des talents cachés. Elle demande où nous en sommes. Henri d’Agrain pense que les dés ne sont pas encore jetés. Mais le retard sera irrattrapable et c’est pour cette raison qu’il faut anticiper.

Nadia Filali pense que la France n’est pas en retard. L’investissement est concentré dans d’autres pays. Le problème n’est donc pas propre aux fintechs et aux entreprises de la blockchain. Le problème général est que les investissements en seed-money sont trop faibles en France. La caisse des dépôts va mettre en place une chaire à ce sujet. Cependant les entreprises investissant en amorçage se comptent vraiment sur les doigts de la main en France et c’est problématique.

Sur ce, Jean Rognetta note que leur rapport n’était pas vindicatif mais « alarmant ». En effet il y a deux décennies la France avait des avances technologiques concrètes grâce à la carte à puce ou le GSM.  Cependant à cause de la puissance d’investissement américaine, le paiement mobile risque de se faire en Californie. L’encours américain est au alentour de 50 milliards investis, plus d’un milliard à Londres et seulement un milliard dans tout l’eurozone.

Il ne faut donc pas, selon celui-ci, que nous essayons de rattraper notre retard mais d’anticiper sur les prochaines révolutions technologiques. Il faudrait dès lors restaurer notre avance technologique grâce à nos talents en les conservant au pays. Il approuve l’action de la Caisse des Dépôts et voit deux enjeux : la formation et les compétences. 42 serait actuellement en discussion avec l’ESCP pour faire quelque chose.

LA BLOCKCHAIN POURRA-T-ELLE ÊTRE RÉCUPÉRÉE ?

La deuxième chose c’est la gouvernance. En effet les permissionned blockchain permettent de facilement identifier la gouvernance ; mais avec le Bitcoin c’est plus compliqué. En revanche les blockchains privées ne permettent pas les même garanties d’infalsifiabilité que les blockchains publiques. Il rendra public le 24 ses propositions de gouvernance pour la mise en adéquation avec le droit français dans l’optique d’alerter le régulateur sur les enjeux de gouvernance.

Nino Renaud des Echos enchaîne sur une question. Elle a compris que la blockchain R3CEV est une blockchain avec permissions. Donc, n’est ce pas un peu orthogonale, s’interroge-t-elle ? Est-ce que la philosophie blockchain survivra à toutes ces initiatives et n’aura pas le même problème qu’internet avec des entreprises privées hyperpuissantes ?

À cela Phillipe Dewost repond par un parallèle avec TCP/IP quand il avait cinq ans. En effet les concepteurs d’internet ne pensaient pas forcément que le réseau arriverait au point où il en est. Mais qu’on le veuille ou non, puissance ou non, pour l’instant ça fonctionne et c’est la même chose avec les blockchains ou Bitcoin. Donc pour Dewost « c’est bien de s’enthousiasmer après Woodstock en pensant qu’on peut courir nu dans les campagnes » mais l’internet a accouché d’AirBNB et des GAFAs. Cependant, avec sagesse, il ne se prononce pas sur l’avenir de la technologie Blockchain.

Il en profite pour citer Hearn et sa frustration sur la phrase qu’il retient de l’article : Bitcoin est une expérimentation. À cela Daniel Augot de l’INRIA rebondit en expliquant que chacun croit comprendre trivialement son petit bout de blockchain entrant dans ses compétences cependant cela demande une interdisciplinarité telle qu’être expert sur le sujet demande énormément de connaissances.

BITCOIN EST UNE EXPÉRIMENTATION

Une question sur le chiffrement arriva mais elle fut vite écarté par Daniel Augot qui précise à juste titre que quelque soit l’avis des États, le chiffrement sur la blockchain est plus de l’ordre technique que de l’ordre de la communication. Ainsi cela ne joue pas beaucoup dans la balance.

Enfin votre serviteur a demandé ce qu’il en était de la discussion avec les banques quand celles-ci s’avèrent être parfois des freins pour les startups de l’écosystème qui ouvrent difficilement des comptes en prononçant le mot Bitcoin. La question a quelque peu été écartée en citant les contre-exemples existant mais la requête a été comprise. Enfin je me suis autorisé à poser une deuxième question sur l’éventuel but de statuer des normes techniques pour les blockchains de sortent à ce que la régulation puissent les encadrer précisément et suivant leur forme. La tribune m’a précisé que la commission n’émettrait pas d’avis technique.

Qu’est ce que l’on peut retenir de cette conférence de presse ?

Tout d’abord on constate une véritable volonté positive de certaines autorités de l’État de ne pas se faire devancer de nouveau. Il faudra toutefois veiller à ce que l’appareil législatif suive. Ensuite j’ai été agréablement surpris du désir d’aborder le sujet avec une certaine virginité sans prêcher pour une paroisse ou pour une autre notamment au niveau du sujet des blockchains privées. Enfin tous les intervenants sont très renseignés sur le sujet et les tables rondes devraient être enrichissantes. Rendez-vous le 24 !

  • It’s Not An Ξrror

    Merci Adli

  • Merci Adli, et bravo à Jacques. Ta note est plutôt optimiste, pour ma part je suis extrêmement prudent quand je lis « Blockchain » et « député » dans la même phrase. Mais puisqu’ils nous demandent de parler, on aurait bien tort de ne pas essayer n’est-ce pas.

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