La « Messe en temps de guerre » de Joseph Haydn s’appelle en langue allemande Paukenmess ou « Messe des timbales », par allusion à celles qui résonnent de manière croissante au cours de l’Agnus Dei.

Vous pouvez cliquer et écouter en lisant ce petit billet…c’est mon opération « cinq minutes de musique dans un monde de brutes ». Car en manière de timbales, le temps de guerre nous donne surtout à ouïr… celles de la propagande. Comme le disait un peu tout le monde (après Kipling, semble-t-il) la vérité en est toujours la première victime!

Dans un récent article, NewsBTC anticipe sur les inévitables mises en cause du bitcoin en citant le Ghose Security Group. Celui-ci, qui semble être un groupe plutôt féminin, créé post-Charlie par une ancienne reine de beauté jordanienne y est décrit comme an anti-terrorism group of ethical hackers. Ce qui est peut-être vrai, après tout. Comme dans 1984, ce qui est vrai ou faux n’a (déjà) plus grande importance.

AnonymousGhostSec

Je laisse chacun méditer sur le slogan (we are the ghosts that you have created) et se reporter à l’interview du hacker inconnu(e), puis exercer son sens critique au mieux de sa formation en la matière. On nous suggère une adresse bitcoin pour aider ces courageux hackers : elle a été activée le jour de la publication et n’a recueilli à cette heure qu’un bitcoin en 4 dons. Si les collectes de l’État islamique sont du même ordre, il n’y a pas de quoi fouetter un shah!

On y trouve surtout, en bas d’article, un lien vers un article publié par Lewis Sanders  le 20 septembre, sur un organe officiel allemand, la Deutsche Welle. Cet article, intitulé Bitcoin: Islamic State’s online currency venture évoque plusieurs sujets de réflexion.

L’USAGE DU BITCOIN PAR LES JIHADISTES

L’article de DW reprend essentiellement des chiffres de l’EUISS. Mais quand bien même l’adresse supposée de l’État islamique aurait bien vu transiter pour 20 millions d’euros en bitcoin, cela ne prouverait pas grand chose (est-ce la bonne adresse? est-ce un solde net?). Et le montant resterait dérisoire par rapport aux montants dont doit disposer l’État islamique si l’on reprend les chiffres que donne une étude d’Alternatives économiques.

Or, quand on fouille sur Reddit que trouve-t-on? que l’auteur n’a pas écrit ce chiffre de 20 millions, ajouté après coup et dans son dos. Sonnez trimballes !

Et finalement l’étude de l’EUISS n’est qu’un petit papier d’une jeune analyste universitaire, citant (c’est la marque de fabrique des études européennes) des on-dit américains, qui non moins classiquement se fondent sur des assertions israéliennes. Curieusement ce genre de source est moins encline à mettre en cause la City, par exemple, dont  les autorités britanniques avouent pourtant (s’il faut en croire l’article d’Alternatives économiques) qu’elle est un exportateur net de finance terroriste, les djihadistes arrivant à utiliser le premier centre financier mondial pour obtenir de l’argent plus que pour le placer. Nihil novum sub sole !

LE STATUT SUPPOSÉ DU BITCOIN DANS LES DESSEINS DE L’ÉTAT ISLAMIQUE

De manière plus intéressante, l’article de DW vise le statut possible de « devise » de l’État islamique, dans une problématique qui n’est pas forcément originale si l’on songe aux (autres) zones de guerre, de type Ukraine. L’Etat islamique aurait besoin, dit-on, d’une devise dans son effort to  buildup state-like institutions and services, including schools, hospitals and now a treasury. Soit, mais est-ce bien du bitcoin que le califat, dans sa volonté de fonder un état territorial, aurait vraiment besoin?

Là aussi, la prudence s’impose. Tout tient en effet sur les dires d’un adolescent à pseudonyme, Ali Amin, qui gît depuis août dans une prison de Virginie et qui rêvait d’une market place islamique régie par des qadis. Il aurait eu 4000 followers sur Twitter. pour autant sa formation en matière d’économie monétaire nous est inconnue.

L’État islamique a bien annoncé sa volonté de battre monnaie, mais en or et en argent.018063324_30300

On notera malicieusement que les décors (des cartes et des fenêtres) rappellent la vacuité décorative d’une autre devise méta-nationale. Ceux qui ont le temps (et ne craignent pas la surveillance algorithmiques) regarderont pendant une petite heure la video présentant la réflexion qui a soutenu cette volonté de retour à ‘or.

return of the dinar copie

Mis à part les références au caractère satanique du système, et diverses fleurs de rhétoriques, l’exposé critique du système actuel (les 40 premières minutes) est étayé, argumenté, et très loin d’être proprement ou exclusivement islamique!

L’exposé du projet commence vers la 41ème minute. Il se réfère expressément à la « prophetic methodology« , concept que nos politiques feraient bien d’explorer promptement, pour ne pas confondre l’Etat islamique actuel et les menaces précédentes, par exemple, et parce qu’il n’est jamais inutile de comprendre l’adversaire quand on se prétend en guerre.

Le dinar (du latin denarius)  de 4,25 grammes à 21 carats (3,71875 de fin) coterait donc 130 dollars. Cela en fait une « piécette » (entre le 5 roubles et le « demi-Nap »). Mais il y a une « grosse pièce » de 5 dinars, qui peut localement servir d’instrument de réserve, si tant est que les réserves privées soient autorisées…

Quoique bien moins inscrit dans la tradition islamique, l’argent a aussi été frappé, avec une pièce d’un dirham (du grec drachma…) de 2 grammes (tout ronds, ce qui ne correspond évidemment à aucune tradition, le gramme étant une invention des infidèles !) et coterait environ 75 cents, ce qui ne couvrira pas son coût de frappe. Sauf « cours forcé » dans les territoires contrôlés et droit de seigneuriage imposé sur cette monnaie d’argent, c’est une maladresse conceptuelle. Même les pièces en argent de 5 et 10 dirhams paraissent à cet égard peu appropriées. D’autant que le califat annonce avoir frappé en cuivre des « flous » (un mot arabe) comme monnaie divisionnaire.

A noter que cela fait 3 unités différentes, et qu’il faudra bien une unique unité de compte. Ce serait (in petto) le dollar que je n’en tomberai pas de mon dromadaire.

La vidéo emploie clairement l’expression « mediums of exchange » et s’achève sur des images un peu enfantines de gens tous émerveillés d’avoir la chose en main. En regardant ces images, on ne peut que penser qu’au fond le projet, dans son objectivation, risque de n’être qu’une … monnaie locale complémentaire, dans sa rhétorique comme dans sa mise en scène.

retour de l'or

Je suis bien conscient que cette comparaison va hérisser. Et que « Daech crée sa Monnaie locale complémentaire », est bien un titre que ni la presse grand public ni les officines de réflexion à deux sous qui forgent les mythes pour elle ne nous infligeront jamais. Pourquoi nous inflige-t-on le bitcoin jihadistes, alors?

Pour le reste, je livre ma conclusion provisoire, fondée sur l’étude des textes serait la suivante. Aucun texte sérieux sur l’État islamique ne mentionne bitcoin. Tous les textes fumeux sur le bitcoin mentionnent l’État islamique.

Timbales finales ! 

  • L’effort pour réfuter une ânerie étant toujours quelques ordres de magnitude supérieurs à celui nécessaire pour la produire, merci pour cet article suffisamment documenté pour m’épargner cet effort la prochaine fois que j’entendrai que Bitcoin finance les groupes terroristes…

  • Il y a tant d’humanité dans ces articles que nous écrit Jacques (au sens le plus noble du terme, trivium et quadrivium) que leur lecture nous offre une parenthèse fort agréable au milieu de cette actualité pour le moins lugubre. Merci!

  • Julien

    Merci Jacques pour l’article. Une véritable bouée de sauvetage dans cet océan d’intox dans lequel j’ai failli me noyer.

  • On leur envoie l’article ?

    http://www.reuters.com/article/2015/11/19/us-france-shoooting-eu-terrorism-funding-idUSKCN0T81BW20151119#8DuGOH20QAY46dSu.97

    Et encore, attendez-vous à de nouvelles restrictions sur le cash prochainement. Car c’est bien connu, les terroristes sont des gens respectueux des lois, et interdire quelque chose suffit à s’assurer qu’ils n’y auront plus accès, comme les armes.

    Si vous avez l’impression qu’on se fout de votre gueule, c’est normal.