Vous n’en avez probablement pas entendu parler, mais le 7 juillet dernier s’est ouvert dans la municipalité de Dongyang, province du Zhejiang, le procès des dirigeants de GBL, plate-forme de trading de bitcoin qui fut pendant quelques mois en 2013 l’une des plus importantes de Chine. Elle y est aujourd’hui particulièrement célèbre en tant que premier cas d’arnaque massive impliquant bitcoin, et les amateurs de cryptomonnaies suivent désormais avec attention le déroulement d’un procès dont les implications promettent d’être massive et durable.
Rappel des faits
GBL était une plate-forme de trading qui a su profiter de l’explosion de bitcoin en Chine en prétendant être le premier business à avoir obtenu une autorisation des autorités hong-kongaises d’opérer avec des cryptomonnaies, ce qui malheureusement n’était pas le moindre des mensonges répandus par ses administrateurs. La plate-forme proposait des produits d’investissement particulièrement risqué et rémunérateur, avec des leviers importants de l’ordre de x10, qu’on ne trouvait alors sur aucun autre site chinois, et qui ont contribué à bâtir sa réputation parmi les investisseurs les plus motivés. Au sommet de sa gloire, GBL rassemblait chaque jour plusieurs milliers d’investisseurs, et le volume des échanges quotidiens se montait à 20 millions de RMB.
En apparence, les affaires sont florissantes, mais les choses commencent à devenir inquiétantes au mois d’octobre, lorsque les utilisateurs commencent à expérimenter des problèmes de connexions de plus en plus fréquents sur le site. En dépit des doutes exprimés par certains internautes, les administrateurs du site réussissent à convaincre la majorité de leur client qu’il ne s’agit que d’un problème temporaire. Un peu plus tard dans le mois, un bandeau sur la page d’accueil du site, prétendument laissé par un hacker, menace de s’emparer des informations de tous les comptes des utilisateurs. Peu après, dans la mâtinée du 23 octobre, le site devient soudainement inaccessibles, les administrateurs ne répondent plus ni aux mails, ni au téléphone, et le groupe de discussion QQ (un chat très populaire en Chine) « kick » tous les utilisateurs : les administrateurs se sont enfuis avec les investissements de leurs clients, en RMB mais aussi une partie importante en bitcoins.
D’anciens clients et des internautes qui ont appris la nouvelle commencent à enquêter, et découvrent rapidement que GBL n’était en fait pas situé à Hong-Kong, mais dans le Zhejiang. Le 29 novembre, c’est justement dans cette province que la police annonce l’arrestation de 3 suspects, information relayée ensuite par plusieurs média occidentaux, spécialisés dans le bitcoin ou pas.
Bitcoin : un statut légal encore flou
Ce procès est suivi de près par une partie de la communauté chinoise, qui en attend quelques indices sur l’évolution du statut juridique de bitcoin en Chine. Ce dernier reste en effet particulièrement flou, et n’a pas fait l’objet de communiqué officiel ni de texte à valeur légale ou règlementaire depuis le communiqué publié par la Banque Populaire de Chine en décembre 2013, intitulé《关于防范比特币风险的通知》, soit « communiqué concernant la prévention des risques de bitcoin ». Petit rappel : dans ce document, la banque centrale chinoise interdit aux banques et aux institutions financières de se livrer à des activités en rapport avec bitcoin, et refuse de lui reconnaître un statut officiel de monnaie. Voici la définition exacte de bitcoin donnée dans ce document, et qui jusqu’à aujourd’hui reste la seule position officielle sur la question exprimée par les autorités chinoises : « 从性质上看,比特币应当是一种特定的虚拟商品,不具有与货币等同的法律地位,不能且不应作为货币在市场上流通使用 » .
Si l’on considère sa nature, bitcoin doit être pris comme une sorte de bien marchand virtuel particulier, dont le statut légal n’équivaut pas à celui d’une monnaie, et qui ne peut ni ne doit avoir cours en tant que tel sur le marché.
Ce communiqué a été publié quelques jours seulement après l’annonce de l’arrestation de trois suspects dans l’affaire GBL. Le déroulement tortueux de l’affaire, rapporté par divers articlesparus récemment, reflète la perplexité des autorités face à bitcoin. En tout, il s’est écoulé 1 an et 8 mois entre le début de l’enquête et l’ouverture du procès : la police de Dongyang a d’abord mené elle-même l’enquête, semble-t-il avec beaucoup de difficultés puisque les enquêteurs ont en tout fait trois demandes de prolongation pour mener des investigations complémentaires. Le parquet prend en main l’affaire à partir du mois d’août 2014, mais il lui faudra encore presque un an pour terminer l’instruction. Les magistrats ont semble-t-il après de nombreuses hésitations décidé de qualifier l’affaire comme une escroquerie, punie par l’article 266 du Code Pénal, qui concerne l’appropriation de biens publics ou privés par des moyens frauduleux (诈骗 zhapian).
Les points discutés pendant le procès
Les débats se concentrent pour l’instant sur deux points en particulier :
- La qualification des faits comme escroquerie. La défense souhaite la modifier en détournement de fonds et de biens (侵占罪 qinzhanzui). L’escroquerie implique en effet que la plate-forme de trading aurait été conçue dans l’unique but de subtiliser les biens de ses utilisateurs, tandis que le détournement implique que la plate-forme n’était pas une arnaque en soi, mais que les administrateurs de la plate-forme ont détourné des biens qui leur avaient été remis de façon tout à fait légale.
- Le deuxième point controversé réside dans le mode de calcul du montant exact du préjudice. Ce point pose une question essentielle, celle du statut légal de bitcoin. En effet, la défense compte sur l’absence de statut légal de bitcoin au moment des faits, et argue que bitcoin n’est qu’un bout de code informatique sans aucune reconnaissance officielle des autorités chinoises, et que par conséquent il n’aurait pas de valeur pécuniaire. Si le tribunal rejette cet argument, il reconnaît alors implicitement que bitcoin est un bien comme les autres, qui a une valeur sur le marché libre, et dont la propriété est reconnue et protégée par la loi.
Les difficultés des victimes à être reconnues et indemnisées
Autre problème important posé par cette affaire, la possibilité pour les victimes de ce genre d’arnaques de porter plainte et d’obtenir réparation. En effet, d’après Jiang En (江恩), président de l’association China Doge (qui assure la promotion du Dogecoin en Chine) et lui-même victime de GBL, seuls cinq victimes étaient présentes à l’audience du 7 juillet, et seulement deux d’entre-elles avaient effectivement réussi à déposer plainte. Or, d’après les données en possession de la Justice, le nombre de victimes se monteraient à plus d’un millier. Éparpillées aux quatre coins de la Chine, les anciens utilisateurs de GBL ont pu être empêcher de déposer plainte pour une multitude de raisons : manque d’informations sur les possibilités de recours ou l’évolution de l’affaire, indifférence ou hostilité des policiers due à leur méconnaissance de bitcoin, impossibilité d’apporter une preuve du préjudice subi etc.
L’indemnisation des victimes pose d’autres problèmes : la cour a annoncé que le montant des indemnisations serait calculé en se basant sur les données saisies par les enquêteurs dans les ordinateurs de GBL, et le prix d’un bitcoin volé fixé au cours du jour où l’utilisateur avait effectué son dépôt. Par ailleurs, le plaignant, pour être indemnisé, doit être en mesure de prouver qu’il détenait bien le dépôt qu’il revendique sur GBL, et le montant doit correspondre avec celui relevé par les autorités. Le montant du préjudice revendiqué par un plaignant doit exactement correspondre à celui trouvé par les enquêteurs. Ce système empêche en fait un grand nombre de victimes d’être officiellement reconnues comme telles, et donc de prétendre au moindre dédommagement. Tous les utilisateurs ne sont en effet pas en mesure d’apporter une preuve qu’ils sont les propriétaires légitimes du dépôt qu’ils revendiquent, à plus forte raison du montant précis de ce dépôt, et la Justice ne dispose de toutes façons pas elle-même de la totalité des données : une partie significative des dépôts volés ne sont toujours pas localisés, et au moins un suspect est toujours en fuite.
Le procès promet d’être long et compliqué, l’indemnisation des victimes aussi. Néanmoins, ce procès représente une véritable avancée dans la lutte contre les arnaques liées aux cryptomonnaies, malheureusement nombreuses en Chine, et le jugement définitif, qu’il soit favorable ou non au bitcoin, sera de toutes façons très intéressants pour imaginer l’avenir de bitcoin dans la deuxième puissance économique mondiale. Sans doute les Chinois paient-ils ainsi leur enthousiasme, et les “山寨币” (shanzhaibi), les « scamcoins », sont devenus un sujet récurrent dans les conversations des bitcoiners. Je vous présenterai la semaine prochaine un cas d’école de ces scamcoins, le “暗黑币” (anheibi), une contrefaçon du darkcoin.
在此,特别感谢萌大大和江恩, 在他们的帮助下我得以了解事情始末
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