On voit trop, en France, les diverses autorités appréhender les changements au prisme d’une volonté de souveraineté dont la pertinence, comme je l’ai rappelé dans mes papiers « souverainement » et « souverainement (bis) », est forcément limitée.
Il sera donc intéressant de comparer la littérature française récente comme le rapport parlementaire (avril 2105, Magnen et Fourel) et le rapport Gailly (CESE) ou à venir (travaux de la CSSPPCE) à ce qui se publie dans d’autres pays.
À cet égard je souhaite attirer l’attention sur le document publié en décembre par le Government Office for Sciences britannique (Mark Walport) sous le titre « Distributed Ledger Technology: beyond block chain »
Une première remarque. Au lieu de dire que la « technologie Blockchain » est « derrière » (beyond) le douteux bitcoin, comme dans le buzz que nous subissons depuis des mois, l’auteur explore ce qui est derrière la block chain, et y trouve le Ledger, ce qui centre peut-être mieux le propos.
D’autant que la technologie en question est immédiatement (dans l’introduction, signée conjointement de deux ministres de Sa Gracieuse Majesté) finalisée par une visée sociétale : The technology could prove to have the capacity to deliver a new kind of trust to a wide range of services. Cela paraît trivial à ceux qui savent, mais faut-il le rappeler, le rapport du CESE centrait son analyse sur la défiance qu’inspire le pseudonymat du Ledger.
Plutôt que d’insister sur la modalité « sans-bitcoin » des développements, l’introduction cite les perspectives opérationnelles: the basic block chain approach can be modified to incorporate rules, smart contracts, digital signatures and an array of other new tools. Et ceci embraye immédiatement sur ce que le gouvernement pourrait offrir de nouveau (à l’exemple de ce que font l’Estonie, la Corée du Sud, la Nouvelle Zélande et Israel, mais aussi le Royaume-Uni lui-même) : The opportunity is for government to enable a future where the delivery of government services is more personal, immediate and efficient.
Comparant le bitcoin au cash, le document élude rapidement le passé sulfureux pour se consacrer sur ce qui intéresse les banquiers centraux: la possibilités de gérer une sorte de cash qui serait toutefois inscrit sur un Ledger. Sur l’avenir de la technologie, de la même façon, la perspective est clairement tracée autour de la recherche des use-cases.
Pour tout cela, le gouvernement a constitué un groupe de travail regroupant des experts du business mais aussi des universitaires, et des fonctionnaires, non pour affirmer la souveraineté de Sa Majesté mais to determine what actions government and others need to take to facilitate the beneficial use of distributed ledger technology and to avoid possible harms.
Plutôt que de réguler d’office et de prime abord une technologie encore mal connue (de lui) un gouvernement, comme le suggère le rapport Walport doit montrer l’exemple : the Government Data Service should lead work in government as a user of distributed ledgers and the DCMS Digital Economy Unit should lead work on government as an enabler of distributed ledgers. Il est aussi explicitement dit que le gouvernement doit supporter la mise en oeuvre de cette technologie au niveau des services publics régionaux ou municipaux, au moins sous forme de test grandeur nature. Mais il doit aussi encourager tout ce qui est universitaire. Le rapport recense les centres de recherche impliqués, et ils sont déjà nombreux.
Abordant le sujet de la régulation, le rapport commence par balayer les fantasmes ordinaires : these systems are not as uncontrollable — or ‘unpermissioned’ — as one might expect. Contrary to public perception, the underlying architecture makes it relatively easy to track transactions and establish the identity of people who misuse the system. Regulators have also learned how to control the ‘on-ramps’ and ‘off-ramps’ where value flows in and out of the system.
Il met ensuite en parallèle, de façon bienvenue, les deux sources de « loi » qui doivent régir la technologie: la loi du pays et la loi du codage. Un rappel bienvenu quand certains n’imaginent que lois et décrets. D’autant que le rapport ajoute utilement : and there needs to be at least as much focus on ensuring the rigour of the technical code as on legislative code. Dans cette optique, la régulation ne saurait être le fait de gens peu instruits de la nouveauté, mais au contraire elle va nécessiter des rencontres interdisciplinaires: unusual mixes of skills, including the need for lawyers, mathematicians and computer experts to work together to resolve many of the key issues. Nombre de recommandations énoncées commencent ainsi par la formule Government needs to work with academia and industry.
Il n’est évidemment pas question de prétendre que le Royaume Uni est à tous égards un havre pour les développeurs et les entrepreneurs du bitcoin. De gros nuages font de l’ombre à la House of Parliament, ne serait-ce que la hargne dont M. Cameron poursuit sans grand discernement la cryptographie.
Mais il semble évident que le nombre de responsables ouverts, curieux et pragmatiques est particulièrement élevé au Royaume-Uni. J’avais noté il y a déjà dix-huit mois que le British Muséum avait déjà sa vitrine consacrée au bitcoin quand le patron de Monnaie de Paris faisait la bouche en cul de poule (ou de coq gaulois?) pour prononcer le mot. Depuis j’ai écrit sur Bitcoin et les lois de la Cité et souhaité que l’on dépasse, en ce qui concerne la régulation de bitcoin les limites de la pensée.
Il semble que les choses se passent davantage comme je le souhaiterais de l’autre côté de la Manche. Il ne faudra pas trop s’étonner de ce qui va advenir.
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Pour les fainéants un aperçu en vidéo est ici :