Huit modestes idées d’applications décentralisées pour illustrer le potentiel des technologies bitcoin 2.0.
Après 5 ans d’existence, le Bitcoin est devenu le réseau de paiement le plus sûr du monde. Le système est fondé sur des principes mathématiques reconnus et validés par la communauté scientifique dans son ensemble. Malgré de nombreuses tentatives depuis 2009, personne n’a jamais réussi à casser la blockchain, c’est-à-dire modifier le code source du petit programme qu’on appelle Bitcoin.
L’expression « technologies Bitcoin 2.0 » désigne tous les projets qui exploitent cette invention pour y ajouter des fonctionnalités et l’étendre à d’autres domaines que la finance. L’émergence de nouveaux « contrats sociaux » concerne tout le monde sans aucune distinction. Les plus modestes, qu’ils soient connectés ou non, peuvent et doivent s’approprier ces nouveaux droits toutes affaires cessantes.
Un article du journal Le Monde raconte très bien l’histoire de Vitalik Buterin, le jeune programmeur à l’initiative d’Ethereum, la plateforme d’applications décentralisées la plus à l’avant-garde de ce mouvement. L’équipe a levé un investissement estimé à 15 millions de dollars en septembre 2014, marquant au passage un record dans l’histoire du financement participatif. Aujourd’hui, des centaines de développeurs travaillent à la mise en ligne de la blockchain d’Ethereum annoncée pour le printemps 2015. Il sera alors possible de faire fonctionner les premières applications, d’émettre les premières transactions et d’y inscrire les premiers contrats.
Qu’est-ce qu’une blockchain ? Imaginez qu’on tienne une sorte de grand cahier dont on tournerait une page toutes les douze secondes, chacun pourrait écrire ce qu’il veut dedans, impossible d’empêcher quelqu’un d’écrire ce qu’il veut, impossible de détruire une seule de ces pages. Ce livre serait une base de données transparente et consultable. Tout le monde, riche ou pauvre, pourrait obtenir un exemplaire actualisé du bouquin et y écrire ce qu’il veut. On peut vérifier facilement ce qui a été écrit ou bien y stocker des données précieuses. On dit que cette base de donnée est « distribuée » parce que tous les ordinateurs connectés au réseau en ont une copie actualisée, c’est le principe de la blockchain !
Vos données ne sont pas stockées sur un serveur central, c’est pourquoi on parle d’applications « décentralisées ». L’exemple de la loterie vérifiable est intéressant car il permet de bien comprendre la mécanique de ce nouveau genre d’applications, aussi appelées dapps. Il suffit d’envoyer un contrat de deux lignes de codes pour obtenir, par exemple, un tirage au sort hebdomadaire dont personne ne peut contester l’impartialité. Personne ne peut l’arrêter non plus. Comme pour n’importe quelle dapp, les données sont vérifiables et totalement imperméables à la censure.
La blockchain représente une évolution technologique majeure et je demande aux mathématiciens et chercheurs de vérifier jusqu’aux moindres détails le code source d’Ethereum : il est ouvert et disponible. Pourquoi ne pas réfléchir collectivement à tout ce qui pourrait être amélioré facilement ? Personne ne prétend résoudre tous les problèmes de la Terre ! Il m’a semblé important d’expliquer le potentiel des futures applications décentralisées à travers le prisme des luttes sociales, c’est-à-dire en excluant, le temps d’un article, les idées de business orientées profit à court terme.
LE VOTE
On peut proposer un système de vote aussi impartial qu’une élection organisée dans un pays comme la France. Les conditions seraient les mêmes : identification forte des participants, puis anonymisation de ces données, et comptage des voix incontestable. On peut, sans trop de peine, envisager de voter à des élections officielles depuis son téléphone, même pas besoin qu’il soit smart.
On peut aussi voter les orientations d’un projet de façon décisionnelle et ça n’était pas possible avant. Or, on sait très bien que l’implication au travail est meilleure quand tous les travailleurs ont le droit de décider des priorités et stratégies de l’entreprise. Vote et émission de stock-options sont tout à coup extrêmement faciles à organiser. En Serpent, un système de vote ressemble à ceci :
init: contract.storage[“ADMIN”] = msg.sender
code: VOTED_ITEM = msg.data[0] if not (contract.storage[msg.sender]): contract.storage[VOTED_ITEM] = (contract.storage[VOTED_ITEM] + 1) contract.storage[msg.sender] = VOTED_ITEM if (msg.sender == contract.storage[“ADMIN”] and not (VOTED_ITEM)): send(contract.storage[“ADMIN”], contract.balance, (tx.gas — 100))
PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
Sur le principe de l’enveloppe Soleau qu’on dépose à l’INPI et qui permet de prouver juridiquement l’antériorité d’un texte sur un autre, une jolie appli permettrait d’assurer le même service en envoyant une version cryptée du texte que vous souhaitez à la fois protéger sur la blockchain et diffuser le plus largement possible. Les coûts de stockage sont quasi-nuls et la protection est valable dans le monde entier.
Bien sûr, un tribunal français ne validera pas le procédé demain matin… mais ça viendra en temps voulu car les recherches de points de contact avec le droit vont très vite. Elles ne tarderont pas à porter leurs fruits et ces technologies peuvent tout à fait devenir state compliant, c’est-à-dire en conformité avec les législations locales. Les décideurs conscients doivent faire le travail d’anticiper le phénomène et d’avoir une démarche curieuse et ouverte vis-à-vis de ces nouvelles pratiques. Qu’attendent les juristes pour proposer des solutions techniques et contribuer à la rédaction de contrats plus subtiles ?
ACTION FUNDING
Plus original. Imaginez maintenant une appli qui enregistre des déclarations comme celle-ci : « J’atteste que la compagnie X est en train de saccager la forêt Y, notre bien le plus précieux. » On stockerait des documents, des photos, les validations d’ONG et celles des gens sur place et ces éléments accumulés pourraient motiver un grand nombre de gens à alimenter un pot commun, fundraiser en anglais, qui irait très directement entre les mains des communautés sur le terrain. On donne plus facilement de l’argent si on a des informations précises sur celles ou ceux qui le dépensent, photos à l’appui. On peut s’attendre à des actions surprenantes et quelques renversements de rapports de forces opportuns. Comprenez-bien que ces technologies permettent de mobiliser la foule au delà des frontières d’un seul pays : on n’a jamais vu ça.
RÉPUTATION
La réputation en ligne commence à signifier quelque chose pour les gens, c’est en train d’entrer discrètement dans les moeurs. Que se passerait-il si quelqu’un recevait une note négative sur Airbnb et ne pouvait plus utiliser Blablacar, par exemple ? C’est-à-dire, si on croisait ces systèmes de réputation, ou trust rating, entre eux ? Cela dissuaderait plus efficacement les utilisateurs à ne pas faire n’importe quoi. Si votre pseudonyme est lié à votre identité réelle, vous pouvez mettre en jeu votre réputation pour accéder à tels ou tels services sans que les entreprises ne détiennent votre intimité sur leurs serveurs. Une chose est claire : vous gagnez en sécurité et gardez le contrôle de vos données personnelles.
Imaginez encore un contrat de longue durée qui protège une zone géographique donnée. Si une entreprise inconnue se permet de le rompre en exploitant certaines ressources sans l’accord des communautés locales, cette entreprise-là aurait beaucoup de mal à réparer sa note négative, à obtenir l’accès à certains services ou certains marchés précis, les conséquences sur sa réputation coûteraient très cher. C’est une attaque au porte-monnaie souhaitable parce qu’on voit souvent ce type de projets de destruction ignorer les droits de la personne et je ne suis pas le seul à être motivé à l’idée de combattre cette impunité par tous les moyens disponibles.
ÉNERGIE DÉCENTRALISÉE
Créer un réseau de production et de partage d’énergie décentralisée a également beaucoup de sens. La facilité et la sécurité de gestion de dispositifs producteurs d’énergie propre est une application particulièrement prometteuse. On pourrait gérer de façon décentralisée la production et la vente d’énergie, autrement dit orchestrer le partage de celle-ci de façon transparente et indépendante.
E-LEARNING
Dans l’éducation en ligne, l’utilisation de ce type de contrat est pertinente car une appli très simple peut garantir l’authenticité et la traçabilité d’un document comme un diplôme depuis son origine. Et si l’évaluation est basée sur la correction pair-à-pair, c’est encore plus fort parce que le processus de validation fournit des données publiques incontestables qui sont anonymisées, stockées temporairement et exploitées pour donner du poids et de la valeur à ces diplômes encore inédits à ma connaissance.
POTS COMMUNS
Les nouveaux outils financiers à disposition excitent certainement les traders et autres acharnés du profit à court terme, sauf que cette fois-ci, c’est un jeu d’enfant de gérer toutes sortes de mutuelles, caisses communes, assurances, etc. Si l’interface est suffisamment claire et fonctionnelle, de nouvelles coopératives et systèmes d’assurance se mettent en place en deux clics. Le temps qu’il fait est une donnée publique et vérifiable : elles peuvent en toute transparence déclencher des transactions à partir de ces données et indemniser les agriculteurs qui contrôlent eux-même les fonds.
GOUVERNANCE
On a vu qu’une monnaie, des jetons ou bien des parts d’une société peuvent aujourd’hui être créés en quelques lignes de code. En fait, le financement participatif est en train d’exploser et de rendre possibles des millions de projets à travers le monde. L’aspect ludique des nouvelles structures d’incentive et la variété de systèmes de validation et de gouvernance sont des sujets passionnants. Une des plus belles innovations qu’on puisse imaginer existe et fonctionne déjà : Swarm est une plateforme de crowdfunding qui gère l’émission de mini-parts de nouveaux projets, DAOs, ou entreprises déjà existantes.
Chers développeurs opérationnels de tous horizons, pour info, le système inclut ses propres langages de programmation en Turing-complet appelés Serpent, Mutan, LLL ou Eth-Go, respectivement adaptés des langages Python, C++, Lisp et Go. En front-end, on utilise sans surprise les langages HTML, CSS et Javascript, etc. Etherscripter permet de jouer avec des morceaux de codes et donne quelques modèles de contrats. La qualité de la formation est aussi un enjeu important pour l’équipe d’Ethereum qui l’a bien compris : le dev-plan est très explicite sur ce point.
IBM a déjà annoncé un fork, c’est-à-dire une copie du programme. Et Counterparty, un protocole très populaire construit sur Bitcoin, a publié les résultats positifs des premiers tests de l’intégration d’Ethereum rendant les contrats déjà compatibles entre eux… Nous n’en sommes qu’aux débuts de la drôle de vague qui risque d’emporter ce qui reste de l’ancien système pour laisser place à la structure plus crédible d’un système monétaire divers et transparent.
Les idées de business se comptent par milliers, mais j’ai d’abord essayé de chercher ce qui pouvait avoir un impact positif réel sur les communautés. Je les appelle toutes à organiser la mise en code de leurs doléances. Un contrat qui engage des millions de gens sur des centaines d’années a des implications différentes de ce qu’on a pu connaître auparavant et qu’il convient d’anticiper.
https://www.ethereum.org/pdfs/EthereumWhitePaper.pdf
http://etherscripter.com/0-5-1/
http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_highest_funded_crowdfunding_projects