(Je souhaitais publier cet article simultanément sur le Cercle des Echos, puisqu’il répond à un billet délirant paru sur ce même site. Cela n’a pas été possible, ce qui démontre l’urgence de doter le bitcoin français d’institutions représentatives et capables de se faire entendre)
Le sang des victimes est à peine séché que la vie ordinaire a repris ses droits sous son nouveau nom d’état d’urgence. Comme avant, le gouvernement espère que l’union sacrée lui profitera ; comme avant, les marchands de systèmes de sécurité présentent leurs gadgets comme des solutions ; comme avant, les maniaques du contrôle social dénoncent nos libertés comme autant de mensonges qui nous font tant de mal.
Il n’a pas fallu huit jours pour que le bitcoin essuie, si l’on peut dire, de nouvelles rafales. Parce qu’on le soupçonne de servir aux terroristes. Les experts français ne font jamais que citer des rapports européens, qui laissent entendre que les Américains ont entendu dire que des Israéliens auraient vu passer une preuve de la chose. La presse grand public croit en avoir assez fait quand elle cesse de se recopier elle-même pour recopier de semblables « experts ». Il ne manque pourtant plus de sites où l’on peut aller sourcer de l’information rédigée en langue française par des gens qui comprennent la chose et sont conscients de ses enjeux : Bitcoin.fr , le-Coin-Coin, fr.newsbtc… Mais comme l’écrit ce dernier site en abordant le mythe du bitcoin et du Daech, plus c’est gros plus ça passe.
Répétons donc à l’intention des enquêteurs (juges et journalistes) et même si c’est sans trop d’espoir, qu’on a la certitude (pas le soupçon) que les terroristes se servent des billets de la BCE et de la Fed comme vous et nous, qu’ils emploient les services des banques et pas seulement de Cofidis pour une mitraillette, mais bien de la City et à hauteur de plusieurs milliards et des dizaines de succursales bancaires diverses qui opèrent toujours, mais sous leur contrôle désormais, en Syrie et en Iraq.
Mais quand les rafales viennent non plus de magistrats peu formés, de policiers débordés, ou de journalistes copieurs-colleurs, mais d’un retraité de la Banque de France, sans doute n’est-il pas suffisant de s’en tenir à cette forme de protestation.
Il y a quelque chose d’obscène dans l’instrumentalisation d’un climat de deuil à des fins qui paraîtront aussi futiles aux personnes endeuillées ou blessées. Quand bien même les mitraillettes du 13 novembre auraient toutes été payées en bitcoin, Satashi Nakamoto serait aussi innocent de ces crimes que ne le sont les pères de l’euro parce que les armes ont été payées avec du cash signé Draghi. En revanche les assassins seraient plus faciles à retrouver, parce que l’exploration de la blockchain est plus aisée que le traçage du cash. La plupart des diatribes contre le bitcoin sont ridiculement ignares sur ce point, alors que de nombreuses start-up travaillent sur ces thématiques.
De toutes façons, ce n’est pas la monnaie virtuelle qui tue, ce n’est pas la cryptographie qui tue, ce n’est pas même l’auto-radicalisation sur Internet qui tue. Ce sont les mitraillettes et les ceintures d’explosif qui tuent. Un fanatique expert en cryptographie, si tant est que cela existe, tant qu’il a des crayons de couleur et de la pâte à modeler pour jouer, ne trouble pas l’ordre public.
Les banquiers aiment les chiffres. Citons ceux du bitcoin d’abord: une capitalisation inférieure à 5 milliards de dollars, des transactions quotidiennes moyennes de l’ordre de 5 millions, avec moins de 10 journées sur les 365 dernières au dessus de 10 millions. Pas de quoi financer le centième de tout ce dont on l’accuse à tour de rôle en temps de paix, drogue (500 milliards ?), évasion fiscale (50 milliards par an pour la France ?) pédophilie (3 à 20 milliards ?) et quelques autres horreurs encore.
Pour les chiffres concernant les armes maintenant, on en trouve sur le Huffington. Il y aurait 10 millions d’armes en France, dont 6 millions d’armes illégales. Mais certaines sources citent des chiffres doubles, sans même compter ce qu’on trouve en Belgique ou en Suisse). En face, la police aurait saisi… 175 armes de guerre en 2014. Le trafic d’armes illégales dispose d’arsenaux de guerre tombés aux mains de civils ou d’organisations mafieuses, ce qui veut dire que, des armes venant des Balkans à celles venant de Libye, c’est déjà vous, amis lecteurs, qui les avez payées avec vos impôts. Elles sont à vous. Que nos policiers les reprennent. Je propose une loi exigeant une saisie minimale de 5.000 armes de guerre entre deux lois de sécurité. Cela augmenterait la sécurité réelle tout en freinant la dérive sécuritaire qui n’est qu’une pollution politique.
Il y a aussi quelque chose d’idiot à penser que les autorités autorisent trop facilement les monnaies privées. D’abord pour une raison de droit : les autorités (en gros : les jeunes collègues qui ont remplacé l’auteur) peuvent interdire quelque chose au nom d’une loi existante ou susciter une loi nouvelle qui en prévoit l’interdiction. Mais dans une démocratie, ce qui n’est pas interdit est autorisé de facto ; les autorités n’ont pas à nous autoriser les choses. Ensuite pour une raison de fait : on pourrait interdire l’usage du bitcoin, à la condition de pouvoir mettre en œuvre cette interdiction. Les Russes s’y essaient, mais jusqu’à il y a peu de temps, ce pays n’était pas donné en modèle. Mais on ne peut interdire une chose immatérielle, non localisable, non saisissable et qui échappe par sa nature meta-physique à la crise d’autorité des états territoriaux. Dire qu’on autorise trop facilement le bitcoin est donc un propos sans queue ni tête. Dire qu’on veut élargir considérablement le champ des circuits de face à face sans préciser l’identité de ce « on » – autorités ? entrepreneurs ? – prouve le flou de l’information et l’embarras de la pensée.
Il y a enfin quelque chose de pathétique qui exsude du toute rhétorique contre « le monde moderne ». Pour un historien, le monde moderne commence en 1492 pour s’achever plus ou moins en 1789. Ces dates ne sont pas choisies au hasard ; elles nous rappellent que les autorités n’ont pas pu interdire l’imprimerie et le nouveau Monde, ni l’Encyclopédie et l’esprit des Lumières. Mais pour un réactionnaire, le monde moderne désigne tout bêtement les choses dans la rue qui lui font peur, les jeunes avec leur musique différente de la sienne, l’Internet plein de saletés qui a remplacé les journaux du temps de Marcel Dassault, la multiplication de nouveautés dont il ne comprend pas l’utilité et qu’il perçoit comme une course à la technologie pour la technologie, les conversations auxquelles il ne pourrait pas même faire semblant de participer. Pour certains financiers dépassés, le bitcoin est sulfureux. Pour certains imams ringards, c’est la musique des jeunes qui vient du diable. Sont-ils si différents ?
Les chevaux de retour qui voudraient revenir à ce qu’ils ont connu au début de leur carrière ont oublié que le système de monnaie papier des années 70 n’était ni une invention mûrement pensée ni une révolution audacieusement menée mais une improvisation face à un un état de fait. Et quand ils se drapent dans le souci de la sécurité publique, ils oublient aussi que le système bancaire régulé depuis la rue Vivienne, les « trois vieilles » administrées depuis la rue de Rivoli, le contrôle des changes et les baraques de douaniers sur toutes les frontières n’empêchaient pas les attentats des années 70 et 80 financés par des braquages (donc par du cash) et par des États étrangers.
Pendant que les policiers ramasseraient enfin les kalachnikov (beaucoup plus nombreuses que jadis) au lieu de jouer les Morpheus algorithmiques, les banquiers devraient s’attacher eux aussi à faire leur métier plutôt que celui d’autrui : malgré l’euro, malgré le Sepa, malgré la plupart des « applications maisons », il est toujours long et coûteux et il est souvent éprouvant d’envoyer 5 euros de Paris à Bruxelles. Comme le disait Nelson, qui valait bien nos fiers-à-bras, le pays expects that every man will do his duty.
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