Sans comprendre et saisir réellement le fonctionnement de la Blockchain, vous passerez surement à coté de l’essentiel de l’innovation que nous apportent les cryptos-devises. Bitcoin vous paraîtra comme une simple devise de geek sur internet sans aucun avenir, un gros Ponzi’s game qui inévitablement s’effondrera, au mieux une énorme bulle financière à plus de 7 milliards de dollars.

Cet article constitue une introduction au concept des Blockchains ou (bases de données décentralisées). Dans la première partie je vais commencer par expliquer le fonctionnement des bases de données décentralisées, je vais aussi donner quelques exemples de nouvelles applications que permet cette nouvelle technologie. Par la suite je vais analyser les différents impacts que peuvent produire ces modèles de bases de données décentralisées sur le système monétaire et financier actuel.

UN GRAND LIVRE DE COMPTE (LEDGER)

Voila la définition de la Blockchain qu’on peut trouver sur la page Wikipedia en Anglais :

A block chain is a transaction database shared by all nodes participating in a system based on the Bitcoin protocol. A full copy of a currency’s block chain contains every transaction ever executed in the currency. With this information, one can find out how much value belonged to each address at any point in history.

La Blockchain est un type de grand livre comptable : en anglais ledger : c’est un registre de compte (une base de données) dans laquelle sont enregistrés tous les soldes comptables. (Qui possède quoi).
Ce modèle de grand livre comptable est la source de la comptabilité moderne, toutes entreprises, corporations ou bien institutions financières y ont recourt pour leur comptabilité. Il se base sur le principe de comptabilité double (débit, crédit) qui remonte au 15eme siècle. Les grands livres sont des bases de  données dans lesquelles sont stockés (soldes de comptes, transactions passées, tires de propriété : (Actions), contrats d’assurance, titres de dettes : (obligations), produits dérivés etc.). Tout le système monétaire-financier et toute l’économie mondiale reposent sur ces bases de données qui permettent la reconnaissance des droits de propriétés ce qui donne lieu à l’échange et au commerce mondial.

Luca Pacioli, le père de la comptabilité en partie double avec son élève  (1495), attribué à Jacopo de' Barbari, musée Capodimonte de Naples
Luca Pacioli, le père de la comptabilité en partie double avec son élève (1495), attribué à Jacopo de’ Barbari, musée Capodimonte de Naples

Le rôle des banquiers ou des intermédiaires financiers dans tout cela, est très simple. Ce sont des institutions mandatées par l’État pour tenir et opérer ces bases de données. Le banquier est simplement un intermédiaire ayant le privilège de jouer le rôle de fiduciaire. Les grands livres comptables sont donc la propriété des banques. Quand on dépose de l’argent dans un compte bancaire, on en est plus propriétaires, juridiquement c’est la banque qui en devient propriétaire et qui en est en charge.

L’idée de Satoshi Nakamoto, était de reprendre le modèle des Ledger, mais de se débarrasser de l’intermédiation financière. C’est à dire ne plus avoir besoin d’un tiers pour mettre à jour les bases de données et prouver que Mr X possède tel solde sur son compte, mais que la mise à jour soit effectuée par le réseau lui même. Le but c’est de décentraliser et de distribuer les bases de données bancaires et les rendre accessible à tous.

Il y a deux conditions à respecter afin de pouvoir concrétiser ce modèle :
D’abord il faut que cette base de données soit accessible à n’importe qui, n’importe quand : tout le monde peut aller vérifier les transactions qui y ont eu lieu, et consulter les balances de chaque compte. On peut aller sur le site Blockchain.info, toutes les transactions y sont enregistrées et librement accessibles au public. La deuxième condition, et encore plus importante que la première et plus difficile à implémenter. Il faut que les serveurs informatiques qui alimentent cette base de données en puissance de calculs ne soient pas contrôlés par une seule institution comme c’est le cas pour le système bancaire actuel : (Les bases de données de la BNP par exemple sont alimentées par les serveurs informatiques de la BNP), mais par n’importe qui, n’importe qui est en mesure de fournir de la puissance de calculs (un ordinateur).

MINING

Afin de distribuer les serveurs Satoshi Nakamoto allait s y prendre en créant un concept totalement nouveau : le minage.
Les mineurs sont des individus dont la fonction et d’alimenter tout le réseau Bitcoin en puissance de calcul, afin de permettre la mise à jour de la base de données (Blockchain). Les mineurs jouent le rôle de l’intermédiaire financier en quelque sorte, mais un intermédiaire qui ne connaît rien de notre identité. Son seul but et de produire des confirmations de transactions afin de les afficher dans la Blockchain. Une fois qu’il arrive à confirmer un block transaction, ils remportent les 25 nouveaux bitcoins qui se créent toutes les 10 minutes. (Il y aura en tout 21 millions d’unités Bitcoin disponibles, les bitcoins sont produits toutes les 10 minutes : à la hauteur de 25 bitcoins)

La ferme de mining de Centerus
La ferme de mining de Centerus

N’importe qui peut être mineur, on n’a pas besoin de l’autorisation de qui que ce soit pour se lancer dans l’industrie du minage. On peut en déduire donc que le minage obéit aux lois du marché et à la concurrence. Plus qu’il y aura de mineurs disposés à accomplir cette tâche, plus la difficulté pour confirmer des transactions devient élevée.

Un mineur pour arriver à confirmer un bloc de transaction, doit passer par un processus appelé : Proof Of Work. « Preuve que le travail a été fait ». Le Proof Of Work consiste en du décryptage de données (C’est pour cela qu’on parle de cryptos-devises : pour arriver à les produire il faut passer par un processus de décryptage). Plus qu’il y aura de la concurrence sur le marché entre les mineurs, plus le décryptage se complexifie et le Proof Of Work devient long.
Ce qui va distinguer entre les mineurs c’est finalement la puissance de leurs ordinateurs, décrypter c’est faire des itérations, le plus d’itérations qu’on arrive à produire le plus de chance qu’on aura à décrypter et donc à confirmer des blocs de transactions.

LE BITCOIN N’EST QU’UN DÉBUT

Ce que je viens d’expliquer ici est le cœur de l’innovation, ce qu’on appelle la devise ‘’bitcoin’’ n’est que la toute première application de la technologie Blockchain. Cette technologie pourrait être appliquée à toute forme de contrat financier, on pourrait voir différents titres émit directement sur des bases de données décentralisées (actions, obligations, assurances etc.) sans aucune intermédiation financière. Mais pas uniquement, aussi de l’intermédiation juridique, plus besoin d’un avocat pour garantir des contrats devant un juge, les contrats pourraient être distribués sur des Blockchains et librement accessibles à n’importe qui pour vérification.

Ceci a déjà commencé, plus de mille crypto-currencies répliquant le modèle de la blockchain sont désormais disponibles, chacune d’elles se spécialisant dans un service ou une fonction spécifique. On peut citer, le Litecoin (deuxième crypto-devise en terme de capitalisation plus de 200 millions de dollar de market cap), le Namecoin (qui offre la possibilité de créer un réseau de noms de domaine décentralisé basé sur la technologie des Blockchains), ou des cryptos-devises communautaires comme (Potcoin et Mazacoin), mais aussi des projets très prometteurs comme BitShares, Darkcoin, Blackcoin et Viacoin etc.

On peut déjà remarquer la différence entre un modèle à bases de données décentralisées, où l’innovation et la créativité sont totalement distribuées et librement accessibles à tous, et le modèle financier actuel où le plus important n’est pas d’innover, mais plustôt d’avoir l’autorisation d’opérer dans le milieu financier. Si on y pense, la principale difficulté pour créer une banque n’est pas l’activité de banquier elle-même, (c’est extrêmement simple d’opérer un grand livre comptable et offrir un service financier) la principale difficulté c’est l’obtention d’une autorisation. Ce qui fait en sorte que le modèle financier actuel soit ainsi fait, c’est parce que le tout premier titre financier sur lequel tout est indexé par force de lois (l’étalon de change) : est un monopole exclusif de l’État. Les devises Fiat (euro, dollar, yen…) sont des titres financiers émis par les États et imposées uniformément à tous comme unité de change.

C’est pour ces raisons que le monde de la finance semble encore aussi obscur. C’est un secteur qui est verrouillé et inaccessible aux communs des gens. Ce système a rendu les services financiers simples comme le transfert d’argent ou l’ouverture d’un compte bancaire extrêmement chers et dispendieux. Plus de 5 milliards d’individus sur terre n’ont pas encore accès aux services financiers de bases. Le monopole des banques n’existe pas c’est le monopole des État sur la devise qui est une vrai réalité. La technologie Blockchain est à l’extrême opposée de ce modèle, elle démocratise la finance et la décentralise.

L’IMPORTANCE DES DEVISES DANS LES RAPPORTS HUMAINS

L’usage d’une devise est une forme de langage à travers lequel on manifeste des souhaits et des intérêts particuliers. Les enfants dans l’école s’échangent des Pokémons, des cartes de joueurs, dans les prisons on s’échange des cigarettes. Le droit de choisir sa devise et le droit d’en émettre, devraient être considérés comme des droits fondamentaux de l’être humain au même titre que la liberté d’expression. Choisir sa devise est d’ailleurs une forme de liberté d’expression. Quand on choisi d’accepter ou de refuser une devise ou un titre spécifique comme moyen de paiement, on est en train d’exprimer une opinion.

Les cartes Panini, la première valeur d'échange de beuacoup de jeunes des années 1980
Les cartes Panini, la première valeur d’échange de beuacoup de jeunes des années 1980

L’invention des devises est l’une des plus vieilles inventions de l’humanité, elle avait immédiatement suivi le développement des échanges et du troc (le sel, le fer, les épices et même des coquillages ont été utilisés comme devises dans l’histoire). C’est à travers elles que se sont créés les tout premiers liens sociaux qui avaient permis la formation des sociétés, des États, des civilisations et ainsi de suite. L’usage des devises n’a pas été le fruit d’une construction, mais s’était imposé spontanément dans toutes les sociétés. Ce qu’on appelle les monnaies (l’or et l’argent) sont apparues bien plus tard. Ce sont aussi à la base des devises, mais des devises qui ont perduré et survécu à l’épreuve du temps. L’or et l’argent ont de part leurs raretés et leurs attributs physiques gagné le privilège de s’appeler ‘’monnaie’’.

REMETTRE LE POUVOIR DE L’ARGENT AUX MAINS DES CITOYENS

Le pire cauchemar des États n’est pas que le prix du Bitcoin atteigne 1 million de Dollar. Le vrai risque c’est de voir ces bases de données décentralisées se multiplier dans le monde, de voir des milliers de devises alternatives émerger (des devises spécifiques pour des communautés, pour des associations, pour des entreprises…) toutes en concurrence les unes avec les autres. Imaginer des milliers de titres financiers (actions, obligations, assurances…) voir le jour sur internet d’une manière complètement anonyme sans passer par les rouages bureaucratiques et étatiques du monde financier actuel. La frontière entre titre financier et devise va complètement disparaître : une action pourrait être considérée comme une devise tout comme un contrat d’assurance, ou une obligation.

Si ce modèle des bases de données décentralisées aboutit, ça serait l’incarnation du vieux rêve de Friedrich Hayek qui l’avait si bien exprimé dans son livre La Dénationalisation de la monnaie. Les Blockchains nous dirigent vers une complète et totale séparation entre l’État et la monnaie, une toute nouvelle forme de laïcité s’annonce. Cette technologie nous libère enfin de la pire des tyrannies que le monde ait connu : les Fiat currencies. Les devises étatiques sont l’origine du mal qui ronge toute l’humanité : les guerres, l’inflation, les crises économiques, l’expropriation des uns et l’engraissement d’autres, l’hypertrophie des États… Tout cela a été rendu possible par la monopolisation des devises par les gouvernements. La technologie des Blockchains remet le vrai pouvoir (Le pouvoir du Fric) aux mains des individus.

C’est la devise qui fait la souveraineté, et non la souveraineté qui fait la devise

  • Bravo pour ce texte qui réussit la gageure d’une présentation complète, compréhensible et en même temps ouverte sur des commentaires (que je ne partage pas forcément tous, au demeurant) soulignant bien la disruption fondamentale du bitcoin.

    Un détail : je ne pense pas (presque personne ne pense) que les devises aient été inventées après le troc. Mais dans le cadre de cet article, cela n’a guère d’importance.

  • Slim Bouzid

    Merci pour votre commentaire.

    Ce que je voulais dire par « l’invention des devises avait suivi le troc » : les premiers types d’échanges étaient ce qu’on appelle l’échange direct : « le troc ». L’échange indirect « l’usage d’un étalon de change : monnaie ou devise » est apparus par la suite. Le but a été de facilité le commerces et les échanges.

    • raoudha Djait

      bravo Slim, c’est bien expliqué, bien argumenté, mais pour les gens de ma génération il nous faut plus que ca pour nous convaincre de nous lancer dans l’aventure du bitcoin

  • Pingback: Blockchain : La dénationalisation de la monnaie | Contrepoints()

  • bien expliqué .mais est ce que le pouvoir du fric aux mains des individus n’aboutirait il pas

    à une anarchie totale dont on ne verrait pas le bout du tunnel

  • Atef Bhouri

    Bien pensé il y a de la passion et de la ferveur dans ce texte visionnaire où tu déclare la révolution dans le monde des finances. Le temps de la lecture, j’ai été comme sur un nuage ça m’a permis de rêver j’ai envie d’y croire. J’aimerais en lire plus, à bientôt!

  • OK, je vais faire parler la loi de Cunningham

    L’intro est pas mal, mais après il y a des erreurs à corriger (mais l’article est bien quand même, félicitations)

    « Afin de distribuer les serveurs Satoshi Nakamoto allait s’y prendre en créant un concept totalement nouveau : le minage. » C’est vrai, mais il serait bon de signaler que le minage est une « bidouille » car il fallait motiver la sécurisation du réseau. Sans rentrer dans les maths, le problème des généraux byzantins (le problème cryptographique derrière la question du consensus décentralisé) ne peut être résolu par lui-même (juste avec des maths), il faut « motiver les troupes ». Et c’est là qu’intervient le minage. Comme je l’écris ici https://bitcointalk.org/index.php?topic=784363.msg9689768#msg9689768

    « Once again: goal is security; reward is just an incentive. When you mine a bitcoin (or stake a hyperstake), this is only the network telling you « thank you for securing me ». That’s all. Satoshi solved the Byzantine Generals problem by introducing an economic incentive to cryptography.
    In cryptocurrency, security comes from… greed. »

    Donc pour le faire court : pour des raisons mathématiques, la seule manière de sécuriser le réseau qu’on a trouver, ces de payer des gens pour le faire. Ces gens, on les appelle des mineurs et le paiement, c’est le bloc auquels ils ont droit de temps en temps.

    Ensuite
    « Plus il y aura de la concurrence sur le marché entre les mineurs, plus le décryptage se complexifie et le Proof Of Work devient long. »
    C’est vrai, mais dit comme ça, on a l’impression que la difficulté est une fonction du nombre de mineurs, ce qui est faux. 2000 mineurs ne signifie pas que ce sera plus difficile que 500 mineurs. Ce qui compte, c’est la puissance de calcul des machines cumulées. Alors, certes, avec plus de mineurs, il y plus de chances d’avoir plus de puissance de calcul parce que c’est plus populaire, mais au final, ce n’est pas ainsi que ça fonctionne. Les altcoins en font l’amère expérience avec le « ASIC-ripping » et les multipools où une poignée de machines font exploser la difficulté.

    « Des devises très promettteuses comme Darkcoin, Blackcoin »
    Euh, non.
    – Blackcoin (le bon gros scam, une semaine de minage, puis 139000% de hausse du prix – je le sais, j’y étais) n’apporte rien. Oui, c’est du PoS – mais NXT aussi, si on va par là, et NXT, c’est quand même autre chose.
    – Darkcoin est plus dangereux que Bitcoin (rouler avec une ceinture de sécurité défecteuse est plus dangereux que rouler sans ceinture de sécurité du tout) – http://www.reddit.com/r/CryptoCurrency/comments/2nu9rg/darkcoin_anoncoin_shadowcash_monero/
    Mais l’idée de donner des exemples est bonne, hein ! Je ne connais pas assez Viacoin ou Bitshares pour parler (je sais que Peter Todd ne fait quasiment rien sur Viacoin et qu’il en est meme un peu embarassés; c’est Viacoin qui fanfaronne). Suggestion : remplacer Darkcoin par Monero et Blackcoin par NXT

    « L’usage d’une devise est une forme de langage à travers lequel on manifeste des souhaits et des intérêts particuliers. Les enfants dans l’école s’échangent des Pokémons, des cartes de joueurs, dans les prisons on s’échange des cigarettes. Le droit de choisir sa devise et le droit d’en émettre, devraient être considérés comme des droits fondamentaux de l’être humain au même titre que la liberté d’expression. Choisir sa devise est d’ailleurs une forme de liberté d’expression. Quand on choisit d’accepter ou de refuser une devise ou un titre spécifique comme moyen de paiement, on est en train d’exprimer une opinion. »
    Ça, c’est très bien, bravo !

    « Les devises étatiques sont l’origine du mal qui ronge toute l’humanité »
    Ça, vous auriez pu éviter. Ça décrédibilise grandement.

  • bamb0u

    la monnaie est déjà dénationalisée.. c’est des intérêts privés qui ont le privilege de la planche a billet.