Tout commence par une question posée par un commerçant suédois, David Hedqvist. Avant de lancer son activité d’achat-vente de monnaie Bitcoin, en échanges de devises suédoises, M. Hedqvist avait déposé une demande d’avis préalable auprès de la commission suédoise de droit fiscal (le Skatterättsnämnden) afin de savoir s’il devait soumettre ses opérations de change à la TVA.
Bitcoin est un moyen de paiement analogue aux moyens légaux et traditionnels
Le 14 octobre 2013, la commission de droit fiscal avait répondu dans son avis que le Bitcoin est un moyen de paiement utilisé de manière analogue aux moyens de paiement légaux et les opérations que M. Hedqvist projette d’effectuer devraient, par conséquent, être exonérées de TVA. En d’autres termes, ces opérations se limiteraient à l’achat et la vente d’unités de la monnaie numérique, Bitcoin en échange de devises traditionnelles, telles que la couronne suédoise, et inversement.
Une décision peu satisfaisante pour l’administration fiscale suédoise (le Skatteverket), qui a formé un recours à l’encontre de cet avis, devant la Cour suprême suédoise (Högsta förvaltningsdomstolen). En effet, le Skatteverket estimait que les opérations d’échange entre devises traditionnelles et Bitcoin ne rentrent pas dans le cadre de la directive européenne sur la TVA et ne pouvaient donc pas être exonérées de cette taxe. La Cour suprême avait décidé de transmettre la question à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), pour une demande de décision préjudicielle introduite le 27 mai 2014 et parvenue le 2 juin 2014 à la CJUE. En conséquence, la CJUE a statué sur ce sujet dans son arrêt en date du 22 Octobre 2015.
Dans cette affaire, la demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, paragraphe 1, et l’article 135, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, à savoir le caractère imposable à la TVA des opérations de change. Mais dans le cas où les opérations de change seraient imposables, il convient de déterminer si elles sont également soumises à la taxe.
En effet, la directive relative au système commun de taxe sur la valeur, au terme de son article 2, dispose que les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel, sont soumises à la TVA. Toutefois, les États membres doivent notamment exonérer les opérations qui portent sur « les devises, les billets de banque et les monnaies qui sont des moyens de paiement légaux».
CJUE : les échanges de devises avec Bitcoin sont exonérés de TVA
Dans son arrêt, la CJUE juge que la monnaie numérique, Bitcoin, est un moyen de paiement contractuel, qui ne peut être regardé ni comme un compte courant, ni comme un dépôt de fonds, un paiement ou un virement et qu’elle constitue un moyen de règlement direct entre les opérateurs qui l’acceptent. Bitcoin ne constitue, ni un titre conférant un droit de propriété sur des personnes morales, ni un titre d’une nature comparable.
La CJUE estime également que des opérations d’échange de devises traditionnelles contre des unités de Bitcoin, et inversement, constituent des prestations de services, et non une livraison de bien, fournies à titre onéreux, dès lors qu’elles consistent en l’échange de différents moyens de paiement. Il existe un lien direct entre le service rendu par Mr. Hedqvist et la contre-valeur reçue par celui-ci, à savoir la marge constituée par la différence entre, d’une part, le prix auquel il achète les devises et, d’autre part le prix auquel il les vend à ses clients en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous c) de la directive 2006/11/CE du 28 Novembre 2006.
Et enfin, la Cour considère qu’en vertu de l’article 135, paragraphe 1, lettre e) de la directive 2006/112 concernant les opérations portant sur « les devises, les billets de banque et les monnaies qui sont des moyens de paiement légaux », les prestations de services consistant en l’échange de devises traditionnelles contre des unités de la devise virtuelle « Bitcoin » et inversement, effectuées contre le paiement d’une somme correspondant à la marge constituée par la différence entre, d’une part, le prix auquel l’opérateur concerné achète les devises et d’autre part, le prix auquel il les vend à ses clients, constituent des opérations exonérées de la TVA.
Vers une définition de Bitcoin ?
Qu’est-ce que Bitcoin ? Voilà une question abordée à de nombreuses reprises dans les différents colloques et conférences organisées autour de cette fameuse crypto-monnaie. Les approchent foisonnent : pour certains Bitcoin est un système de transfert et de vérification de propriété, pour d’autres plus qu’une monnaie, c’est une technologie au potentiel énorme. Toujours est-il que la décision de la CJUE laisse la porte ouverte à une définition du Bitcoin en tant que devise à proprement parler. Un pas que les États-Unis n’ont pas encore franchi puisqu’outre-Atlantique, le Bitcoin n’est reconnu que comme une simple « marchandise » (voir NDP 152).
En effet, La CFTC (Commodity Futures Trading Commission) a officiellement reconnu le Bitcoin comme une commodity (marchandise), au même titre que l’or, le blé et le pétrole. Dans sa décision, la CFTC apporté plus de « clarté », en indiquant que selon l’article 1a(9) du (Commodity Exchange Act (CEA), une marchandise inclut « tous les services, les droits et intérêts dans pour lesquels, les contrats en vue d’une mise en œuvre future sont négociés présentement ou dans le futur ». Une décision qui rappelle la conclusion de la Finlande, qui en janvier 2014, avait classé la crypto-monnaie dans la catégorie des marchandises brutes telles que le coton et le café.
Article co-écrit avec Henri KELLE