Averti par l’une de mes lectrices, j’ai profité d’un rendez-vous à Londres pour aller voir cela. Et pas chez Madame Tussauds, où les people peuvent se contempler en momies de cire de leur vivant : non, au British Museum, dans la salle 68 consacrée depuis près de 2 ans à la monnaie.

la salle 68 du BM

UNE DÉMARCHE PÉDAGOGIQUE

Evidemment, la monnaie virtuelle a plus de mal à se transformer en objet de vitrine qu’un paper-wallet, un exemplaire de la revue Bitcoin… La démarche pédagogique est très brièvement résumée par le texte dans la vitrine : La façon dont les gens se servent de leur argent change. Depuis l’usage de la circulation de l’argent en ligne jusqu’à l’emploi du téléphone comme instrument de paiement mobile, de nouvelles technologies digitales se développent partout dans le monde. Certaines d’entre elles pourront avoir des conséquences sociales que l’on n’attendait pas. D’autres peuvent transformer les vies en permettant l’accès au système financier à des gens qui étaient auparavant éloignés du système bancaire.

ALSOP LE NUMISMATE

Bonne synthèse. En cherchant sur le site du Musée on trouve un texte assez intéressant du responsable de cette salle 68, Benjamin Alsop : how do we display the intangible? Obligé de convenir de ce qu’exposer un jeton frappé du sigle ฿ ne répond pas vraiment à la question et que le jeton n’est qu’une manifestation physique de quelque chose qui n’a jamais été censé exister sous un aspect tangible il a pourtant choisi cette voie, tout en l’entourant d’autres éléments historiques (un exemplaire de l’article fondateur de 2009, un ASIC etc) le contextualisant. Numismate plus que financier, il ne lui échappe cependant pas que le bitcoin et ses émules ne sont pas révolutionnaires en ce qu’ils sont invisibles (comme n’importe quelle impulsion électronique) mais en ce qu’ils impliquent aussi des choix politiques.

Le contenu de la vitrine, évidemment, n’apprendra pas grand chose aux early adopters.

BTC au BM

BEAUCOUP D’OBJETS « SANS VALEUR »

Mais ils ont tout intérêt à faire le tour de la salle, s’ils partagent du moins la conviction que je défends sur mon propre blog selon laquelle la dernière venue des monnaies, quoi que parée de son aura mathématique, de sa nature cryptée et d’un petit parfum sulfureux… ne se comprend vraiment qu’en perspective longue, et que les expériences les plus diverses développées depuis l’aube de l’humanité en matière d’échanges magiques, symboliques, politiques, marchands et financiers restent riches d’enseignements pour notre communauté. Ce qui m’a le plus frappé à Londres, c’est de voir dans les autres vitrines, à côté de pièces de musée beaucoup d’objets « sans valeur » : billets de nécessité allemands, billets dévalués du Zimbabwe. Le bitcoin sera-t-il plus dangereux que le papier ?
Toutes ces choses ont été jetées comme choses qui ne sont plus rien, pourtant on les collectionne encore. Collectionnera-t-on les altcoins ?

jetons de mariage

Et soudain un objet plus étonnant encore : des jetons de mariages iraniens, en plastique doré. Ceux-là sont conçus sans valeur, pour être jetés en l’air. Comme nos grains de riz. Plus loin encore une monnaie gravée d’un message d’amour. Le bitcoin connaitra-t-il ces usages ? Je crois qu’il les connaît déjà : on peut en offrir un à un nouveau-né dont la clé privée est sur un support codé à activer pour sa majorité…

love token

LE BITCOIN PAS ENCORE AU LOUVRE

Il n’est sans doute pas anodin que le bitcoin ait déjà sa place au British Museum, au cœur d’une «Ville-Monde» et pas encore au Louvre, au Cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale ou à la Monnaie de Paris. Une monnaie étant effectivement un fait social, sa présence symbolique dans les lieux où s’expose la culture de la classe dirigeante est en soi un indice de l’attitude de celle-ci. A cette aune, on peut dire que l’attitude des autorités françaises est encore réservée. Le patron de la Monnaie de Paris jugeait, en janvier dernier (voir à partir de 9’25’’ sur son interview ), que le bitcoin est très archaïque. Ce qui n’est sans doute pas la critique la plus pertinente que l’on puisse lui adresser.
Là où la vitrine du British Museum énonce que nous ne pouvons pas toujours prévoir les conséquences sociales et culturelles qui pourraient résulter de ces changements technologiques on a le sentiment que dans notre pays beaucoup de gens souhaiteraient simplement éviter d’avoir à se trouver face à ces conséquences. Sans doute faudrait-il commencer par installer le bitcoin au Palais de la Découverte ?

J. Favier